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ples propriétés ou accidents de la matière pure. Je prends ce passage dans un admirable travail sur la théorie atomique de Lucrèce, publié dans le Nord British Review (mai 1868) et contenant un très intéressant et très instructif sommaire des doctrines anciennes et modernes concernant les atomes. Permettez-moi de vous lire de cet article un autre court passage, décrivant parfaitement l’aspect naturel de la théorie atomique : L’existence de l’atome chimique, qui est presque tout un petit monde complexe, semble très probable. Nous ne sommes pas tout à fait sans espoir que l’on puisse connaître un jour le poids réel de chaque atome de ce genre, non seulement les poids relatifs des divers atomes, mais leur nombre sous un volume donné de matière ; on pourra calculer la forme et le mouvement des parties de chaque atome et les distances qui les séparent ; par le moyen de diagrammes géométriques exacts, on parviendra à mettre en évidence les mouvements par lesquels ils produisent la chaleur, l’électricité et la lumière ; enfin, il y aura possibilité d’arriver aux propriétés fondamentales du milieu intermédiaire et probablement constituant. Alors le mouvement des planètes et la musique des sphères seront négligés un instant, dans le transport d’admiration que nous inspirera la vue du dédale où se précipitent les atomes légers. »

Lucrèce et la théorie atomique. Avant les hommes de notre époque, il serait facile de citer, parmi les partisans de la théorie atomique, plus d’un nom illustre. Je me borne à rappeler ici la théorie des atomes tourbillons de Descartes malgré les railleries dont elle a été longtemps l’objet. Mais je ne veux citer parmi les fondateurs de cette doctrine que le plus ancien de tous, l’illustre poète latin qui a écrit, dans une langue admirable ce poème de l’univers matériel, De natura rerum. Voulant donner une idée de la constitution intime du monde et du mouvement de la matière : « Regarde, dit-il, ce qui se passe lorsqu’un rayon de soleil se glisse dans les ténèbres de ta maison : tu verras dans la lumière de ce rayon une multitude de petits corps se mêler de mille façons à travers le vide, se livrer des assauts et des combats incessants, se disperser et se réunir sans prendre aucun repos. Par là tu pourras concevoir l’agitation incessante, dans le vide infini, des éléments primordiaux de la matière, autant qu’un petit fait peut servir à faire concevoir les grands et à nous mettre sur les traces de la vérité. L’observation des corpuscules qui s’agitent dans un rayon de soleil doit d’autant plus frapper ton esprit que leur agitation rend manifeste à tes yeux les mouvements cachés des éléments de la matière. Tu y verras, en effet, des milliers de ces corpuscules frappés par des agents invisibles, changer de route, retourner en arrière, s’en aller de-ci de-là dans toutes les directions. Ce trouble est produit par les éléments primordiaux de la matière, qui jouissent eux-mêmes d’un mouvement propre. Ce sont eux qui donnent l’impulsion par des chocs invisibles, aux corpuscules de petite taille, dont les masses sont peu différentes des leurs ; puis, ces corpuscules ébranlés trans-