Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ration de ces êtres envisagés en tant qu’individus, et l’autre relative à la formation des espèces et autres groupes admis par les naturalistes. Genèse des êtres vivants. Si l’on veut que je prenne des exemples, il nous reste à expliquer : 1o comment il se fait qu’un homme donne toujours naissance à un autre homme, un chêne à un autre chêne ; comment il se fait qu’une écrevisse, qu’un bolet, un ver de terre, une monère, produisent toujours l’écrevisse une autre écrevisse, le bolet un autre bolet, le ver de terre un autre ver de terre, la monère une autre monère ; 2o d’où vient l’espèce Homme, l’espèce Chêne, l’espèce Écrevisse, l’espèce Bolet, l’espèce Ver de terre, l’espèce Monère, etc.

Nous avons vu comment Buffon répondait à la première question ; je crois qu’il n’est pas inutile de le rappeler pour montrer la filière par laquelle sont passées les idées des naturalistes depuis son époque. Buffon admettait d’abord l’existence dans tout organisme vivant de « parties semblables au tout, » capables de reproduire un organisme identique au premier quand elles deviennent libres, et qu’elles trouvent l’alimentation nécessaire à leur accroissement ; il pensait, en second lieu, que les parties semblables au tout sont d’autant plus nombreuses que l’organisme est plus inférieur ; en d’autres termes, il admettait que dans les organismes inférieurs toutes les parties élémentaires se ressemblent à tel point qu’elles sont toutes capables de reproduire un organisme nouveau, semblable à celui dont elles ont fait partie ; en troisième lieu, enfin, il supposait que les « parties semblables au tout » capables de reproduire l’animal ou le végétal proviennent de l’accumulation des « molécules organiques » nutritives, inutiles à l’accroissement, superflues pour ainsi dire. Ces parties venant de toutes les régions du corps, elles réunissent les propriétés et les caractères de toutes ces régions, autrement dit de l’organisme entier ; dans les organismes les plus élevés, il faut que des parties venues du mâle s’unissent aux parties venues de la femelle pour former un individu nouveau.

J’ai à peine besoin de dire que la partie de cette théorie relative aux molécules organiques nous est absolument inutile ; elle n’eut, du reste, qu’un très faible succès à l’époque de Buffon. L’homme qui peut au plus juste titre passer pour son élève[1], Lamarck n’y fait même pas allusion. Parlant de l’origine des premiers êtres vivants, il dit[2] : « Voyons comment la nature a pu produire directement les premiers corps vivants, ceux-ci lui ayant ensuite suffi pour amener progressivement la formation des autres. En donnant l’existence aux corps inorganiques et en formant par cela divers assemblages

  1. Je ne crois pas que personne ait encore signalé les relations scientifiques qui existent entre Lamarck et Buffon. On verra plus bas que c’est à Buffon que Lamarck a emprunté la plupart de ses idées. Je me borne à rappeler ici que Lamarck dut à Buffon son entrée au Jardin du roi en qualité de conservateur des herbiers, que Buffon lui confia son fils pendant un voyage en Allemagne, après lui avoir fait donner une mission scientifique et que c’est à Buffon qu’il dut de voir imprimer sa Flore de France par l’imprimerie royale.
  2. Système analytique des connaissances de l’homme, p. 115.