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de matières diverses, ce qu’elle parvient à faire, tantôt par de simples réunions, tantôt par cohésion ou par agrégation des molécules, la nature a pu, parmi les corps résultés de ces opérations, en former qui soient propres à recevoir les premiers traits de l’organisation et les mouvements qui constituent la vie. C’est effectivement ce qu’elle paraît avoir fait. »

Il fait passer, on le voit, la matière directement des corps inorganiques aux premiers corps organisés et vivants. Dans les autres parties de sa doctrine, il ne parle pas davantage des « molécules organiques de Buffon ». Nous ferons comme lui, après avoir rappelé toutefois, que des molécules organiques de Buffon aux cellules des modernes il n’y a peut-être pas extrêmement loin. Cela est vrai, surtout des « parties semblables au tout » qui jouent un rôle si considérable dans sa théorie de la génération. Parmi les « parties semblables au tout », il place en effet les cellules reproductrices, les bourgeons, etc.

La théorie des « parties semblables au tout » a eu un sort plus heureux que celle des « molécules organiques ». C’est elle que nous retrouverons dans l’œuvre de Darwin sous le nom de « Pangenèse ». Elle avait été précédée d’une autre doctrine qui était en grande vogue à l’époque de Buffon, celle de l’emboîtement des germes, dont je dois dire quelques mots.

Théorie de l’emboîtement des germes. Déjà vaguement indiquée par les naturalistes du xviie siècle, elle dut sa dernière expression à un naturaliste genevois d’une grande valeur, Ch. Bonnet. C’est à lui que je vais donner la parole pour exposer cette célèbre doctrine. Je me borne à rappeler qu’on désignait à cette époque par le nom de théorie de l’épigenèse celle qui consiste à admettre, avec Buffon et avec tous les naturalistes modernes, que le développement des animaux et des végétaux se fait par l’apparition successive de tissus, d’organes, de membres, qui n’existaient pas dans l’œuf, qui se forment graduellement et s’ajoutent les uns aux autres. Ceci dit, écoutons Bonnet : « Sans être, dit-il[1], un Malpighi, un Haller, un Albinus, on comprend très bien que toutes les parties d’un animal ont entre elles des rapports si directs, si variés, si multipliés, des liaisons si étroites, si indissolubles, qu’elles doivent avoir toujours coexisté ensemble. Les artères supposent les veines : les unes et les autres supposent les nerfs ; ceux-ci le cerveau ; ce dernier, le cœur ; et tous supposent une multitude d’autres organes.

» Vouloir qu’un animal se forme comme un sel ou un cristal, de la réunion de différentes molécules, qui s’assemblent en vertu de certaines forces de rapport ; admettre que le cœur est formé avant le cerveau, celui-ci avant les nerfs ; en un mot, soutenir que l’animal se façonne par apposition, c’est préférer Scudéry à Bossuet, le roman à l’histoire.

» Des sages appelés à éclairer le monde ont choqué les règles de la logique la plus commune : ils ont jugé du temps où les parties d’un animal ont com-

  1. Contemplation de la nature, œuvres complètes, éd. 1779, t. IV, partie Ire, p. 261. Ce volume a paru en 1781.