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mencé d’exister par celui où elles ont commencé à devenir visibles ; et tout ce qu’ils ne voyaient point, n’existait point. »

Il cite alors l’exemple du poulet, dans lequel on croit, dit-il, que les organes apparaissent les uns après les autres, et il affirme que cela est une illusion, que toutes les parties existaient à l’avance dans l’œuf, mais qu’on ne les voyait pas. Et il ajoute[1] : « Bien d’autres faits concourent avec ceux-ci à établir la préexistence des « touts organiques ». »

Parlant des bourgeons qui poussent sur un arbre ou un polype, et d’un tronçon d’animal qui reproduit l’animal entier, il dit : « La partie qui se reproduit passe donc par tous les états et par tous les degrés d’accroissement par lesquels l’animal entier avait passé lui-même. Elle a donc probablement la même origine : elle est un véritable animal, qui préexistait très en petit dans le grand animal qui lui a servi de matrice (p. 264). »

Parlant de la préordination qui doit exister dans l’univers, il ajoute (p. 268) : « Quel serait notre étonnement, si nous pouvions pénétrer dans ses profondeurs et promener nos regards dans cet abîme ! Nous y découvririons un monde bien différent du nôtre, et dont les décorations bizarres nous jetteraient dans un embarras qui s’accroîtrait sans cesse. Un Réaumur, un Jussieu, un Linnæus s’y perdraient. Nous y chercherions nos quadrupèdes, nos oiseaux, nos reptiles, nos insectes, etc., et nous ne verrions à leur place que des figures bizarrement découpées dont les traits irréguliers et informes nous laisseraient incertains si ce que nous aurions sous les yeux serait un quadrupède ou un oiseau. Il en serait de ces figures comme de celles de l’optique, qu’on ne parvient à reconnaître qu’en les redressant avec un miroir. La fécondation fait ici l’office de ce miroir : elle est le principe d’un développement qui redresse les formes et nous les rend sensibles.

» Cet état dans lequel nous concevons qu’ont été d’abord tous les corps organisés, est l’état de germe, et nous dirons que le germe contient, en raccourci, toutes les parties du végétal ou de l’animal futurs…

» Il n’acquiert donc pas des organes qu’il n’avait point ; mais des organes qui n’apparaissaient point encore commencent à devenir visibles…

» Il est possible que tous les germes d’une même espèce aient été originairement emboîtés les uns dans les autres, et qu’ils ne fassent que se développer de génération en génération, suivant une progression que la géométrie tente d’assigner.

» Cette hypothèse de l’emboîtement est une des plus belles victoires que l’entendement pur ait remporté sur les sens. Les calculs effrayants par lesquels on entreprend de la combattre prouvent seulement qu’on peut toujours ajouter des zéros à des unités, et accabler l’imagination sur le poids des nombres.

  1. Contemplation de la nature, œuvres complètes, éd. 1779, t. IV, partie Ire, p. 263.