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On remarque avec quelle solennité seigneuriale mêlée de bonhomie ces fêtes sont organisées.

Le moindre événement de famille était entouré, dans la maison de Buffon, d’une grande pompe. Pendant le voyage que fit son fils en Russie, au courant de l’année 1787, dès qu’une lettre du jeune homme arrivait à Montbard, on prévenait les amis et les voisins ; on les réunissait au salon, et on faisait solennellement l’ouverture et la lecture de la dépêche[1].

Buffon se montrait grand seigneur, non seulement par tous les détails de sa conduite, mais encore par l’attachement qu’il portait aux privilèges de sa classe. Le 20 mai 1785, quatre ans avant qu’éclatât la Révolution qui devait abroger les droits seigneuriaux et créer un nouvel état de choses, il écrit à Dupleix de Bacquencourt, conseiller du roi : « Je crois, monsieur, que votre bonne volonté aura influé sur celle de M. de Saule, et qu’on me débarrassera, de manière ou d’autre, de cinquante paysans qui seraient chacun autant de petits seigneurs, possesseurs en franc fief de quelques perches de terrain dans ma terre de Buffon, ce qui serait absurde et ne peut pas exister. »

Malgré l’éloignement de la chose publique dans lequel il s’était toujours tenu, les périls qui menaçaient les institutions du passé ne lui avaient pas échappé ; il voyait venir l’orage et il en redoutait les conséquences. Il blâma la guerre en faveur de l’indépendance des États-Unis, et, le jour où il apprit la convocation des notables, il s’écria : « Je vois venir un mouvement terrible et personne pour le diriger. »

Quoiqu’il se montrât très soucieux de ses titres et de ses droits seigneuriaux, quoiqu’il apportât dans tous ses actes une solennité un peu puérile, quoiqu’il fût aussi très amoureux de la renommée et de la gloire, Buffon n’était, cependant, pas assez vain pour mériter le surnom de « comte de Tuffières » que lui avaient donné les encyclopédistes. Enchaîné par les traditions de sa famille, héritier des préjugés de sa race, élevé dans le culte de la religion, de la monarchie et de l’aristocratie, naturellement intéressé à la conservation des privilèges de sa caste, il était fatalement condamné à commettre plus d’une faiblesse ; mais la générosité de son cœur, la hauteur de son caractère et la puissance de son génie le préservaient des excès de la vanité. La tendre sollicitude dont il entoura constamment son fils, l’attachement profond que lui témoignèrent pendant toute sa vie les amis de sa première jeunesse, l’affection qu’il sut faire naître plus tard chez ses collaborateurs, l’abbé Bexon, Guéneau de Montbéliard, etc., et chez la plupart des hommes qui le fréquentaient d’une façon un peu assidue, les regrets touchants qu’il laissa chez ses serviteurs et la fidélité avec laquelle ils restèrent à son service pendant de nombreuses années, les marques de sympa-

  1. Humbert Bazile, loc. cit., p. 197.