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ne juge que d’après les analogies extérieures et qui est plutôt frappé par les dissemblances que par les ressemblances, qui cherche plutôt à éloigner qu’à rapprocher les êtres, qui fait de l’analyse et non de la synthèse. À cette classification s’appliquent exactement encore les paroles suivantes de l’illustre naturaliste du xviiie siècle : « Nos idées générales n’étant composées que d’idées particulières, elles sont relatives à une échelle continue d’objets, de laquelle nous n’apercevons nettement que les milieux, et dont les deux extrémités fuient et échappent de plus en plus à nos considérations. » Aristote voit les êtres vivants comme un voyageur aperçoit les montagnes d’une chaîne dont il n’a encore gravi que les premiers mamelons ; il découvre les nombreux sommets étalés devant ses yeux ; il peut en décrire les formes et la position relative, mais il n’aperçoit pas les vallées qui les rattachent les uns aux autres. S’il veut découvrir les vallées, les gorges, les ravins qui relient les sommets des montagnes en une chaîne ininterrompue, il faut qu’il gravisse successivement chacune des cimes de la chaîne, qu’il descende dans chaque vallée, qu’il sonde chaque ravin, qu’il scrute le fond de chaque précipice. C’est seulement après ce long et pénible voyage, qu’il pourra tracer une carte complète de la chaîne si péniblement explorée.

C’est de la sorte qu’ont dû procéder les naturalistes. Tant qu’un petit nombre seulement d’animaux ou de végétaux leur ont été connus, tant que leur vue n’a été frappée que par les plus communs et les mieux caractérisés parmi les êtres, ils n’ont vu que des différences. Il suffisait qu’un caractère quelque peu tranché leur sautât aux yeux pour qu’ils en fissent la base de leurs classifications. Mais à mesure que le nombre des animaux et des végétaux connus devint plus considérable, à mesure qu’on connut mieux ces organismes, on s’attacha à des caractères plus précis, on établit des classifications à la fois plus étendues et plus exactes. Les formes extérieures étant trop variées, les grands traits d’organisation, tels que la présence ou l’absence de membres, étant devenus insuffisants, on étudia de plus près les différents organes des animaux pour y chercher des éléments nouveaux de classification. C’est ainsi que graduellement, poussant toujours l’analyse plus loin, on atteignit, avec Tournefort, à la fin du xviie siècle, à la notion du genre, c’est-à-dire de groupes d’animaux et de végétaux se ressemblant non seulement par quelques caractères principaux, mais encore par des traits tout intimes d’organisation et de structure. Linné poussa plus loin encore l’analyse en établissant les espèces, mais il commit l’erreur dont je parlais plus haut, il considéra tous ces groupes comme créés indépendamment les uns des autres, il fit comme le voyageur qui du haut de la terrasse de Pau voyant se dérouler devant ses yeux les innombrables sommets des Pyrénées prendrait chaque pic pour une montagne indépendante de toutes les autres.

C’est contre cette erreur que proteste Buffon dans les pages citées plus