Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sidère, comme l’a remarqué M. Daubenton, que le pied d’un cheval, en apparence si différent de la main de l’homme, est cependant composé des mêmes os, et que nous avons à l’extrémité de chacun de nos doigts le même osselet en fer à cheval qui termine le pied de cet animal, et l’on jugera si cette ressemblance cachée n’est pas plus merveilleuse que les différences apparentes ; si cette conformité constante et ce dessein suivi de l’homme aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux poissons, etc., dans lesquels les parties essentielles, comme le cœur, les intestins, l’épine du dos, les sens, etc., se trouvent toujours, ne semblent pas indiquer qu’en créant les animaux l’Être suprême n’a voulu employer qu’une idée et la varier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l’homme pût admirer également et la magnificence de l’exécution et la simplicité du dessein.

» Dans ce point de vue, non seulement l’âne et le cheval, mais même le singe, les quadrupèdes et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne faisant que la même famille : mais en doit-on conclure que dans cette grande et nombreuse famille, que Dieu seul a conçue et tirée du néant, il y ait d’autres petites familles projetées par la nature et produites par le temps, dont les unes ne seraient composées que de deux individus, comme le cheval et l’âne ; d’autres de plusieurs individus, comme celle de la belette, de la marte, du furet, de la fouine, etc. ; et, de même que dans les végétaux, il y ait des familles de dix, vingt, trente, etc., plantes ? Si ces familles existaient, en effet, elles n’auraient pu se former que par le mélange, la variation successive et la dégénération des espèces originaires ; et si l’on admet une fois qu’il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l’âne sort de la famille du cheval, et qu’il n’en diffère que parce qu’il a dégénéré, on pourra dire également que le singe est de la famille de l’homme, que c’est un homme dégénéré, que l’homme et le singe ont une origine commune comme le cheval et l’âne, que chaque famille, tant dans les animaux que dans les végétaux, n’a qu’une seule souche, et même que tous les animaux sont venus d’un seul animal, qui, dans la succession des temps a produit, en se proportionnant et en dégénérant, toutes les races des autres animaux.

» Les naturalistes qui établissent si légèrement des familles dans les animaux et dans les végétaux, ne paraissent pas avoir assez senti toute l’étendue de ces conséquences qui réduiraient le produit immédiat de la création à un nombre d’individus aussi petit que l’on voudrait : car s’il était une fois prouvé qu’on pût établir ces familles avec raison, s’il était acquis que dans les animaux, et même dans les végétaux, il y eût, je ne dis pas plusieurs espèces, mais une seule qui eût été produite par la dégénération d’une autre espèce ; s’il était vrai que l’âne ne fût qu’un cheval dégénéré, il n’y aurait plus de bornes à la puissance de la nature et l’on n’aurait pas tort de supposer que d’un seul être elle a su tirer avec le temps tous les autres êtres organisés. »