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À cette dernière question si bien posée « s’il était vrai que l’âne ne fût qu’un cheval dégénéré », Buffon fait une réponse qu’il est curieux de reproduire : « Mais non, dit-il ; il est certain par la révélation que tous les animaux ont également participé à la grâce de la création, que les deux premiers de chaque espèce et de toutes les espèces sont sortis tout formés des mains du Créateur, et l’on doit croire qu’ils étaient tels alors à peu près qu’ils nous sont aujourd’hui représentés par leurs descendants. »

Cette réponse fut sans doute écrite pour éviter les atteintes de la Sorbonne, dont il avait déjà subi les menaces à la suite de la publication de son premier discours. Ce qui en établit le caractère, ce sont les preuves qu’il s’efforce d’accumuler en faveur de l’idée que l’âne n’est qu’un cheval dégénéré. « À considérer, dit-il, cet animal, même avec des yeux attentifs et dans un assez grand détail, il paraît n’être qu’un cheval dégénéré : la parfaite similitude de conformation dans le cerveau, les poumons, l’estomac, le conduit intestinal, le cœur, le foie, les autres viscères, et la grande ressemblance du corps, des jambes, des pieds et du squelette en entier, semblent fonder cette opinion ; l’on pourrait attribuer les légères différences qui se trouvent entre ces deux animaux à l’influence très ancienne du climat, de la nourriture et à la succession fortuite de plusieurs générations de petits chevaux sauvages à demi dégénérés, qui peu à peu avaient encore dégénéré davantage, se seraient ensuite dégradés autant qu’il est possible, et auraient à la fin produit à nos yeux une espèce nouvelle et constante, ou plutôt une succession d’individus semblables, tous constamment viciés de la même façon, et assez différents des chevaux pour pouvoir être regardés comme formant une autre espèce. Ce qui paraît favoriser cette idée c’est que les chevaux varient beaucoup plus que les ânes par la couleur de leur poil ; qu’ils sont par conséquent plus anciennement domestiques, puisque tous les animaux domestiques varient par la couleur beaucoup plus que les animaux sauvages de la même espèce ; que la plupart des chevaux sauvages dont parlent les voyageurs sont de petite taille et ont, comme les ânes, le poil gris, la queue nue, hérissée à l’extrémité, et qu’il y a des chevaux sauvages, et même des chevaux domestiques, qui ont la raie noire sur le dos, et d’autres caractères qui les rapprochent encore des ânes sauvages ou domestiques. »

Buffon n’ignore pas que dans ce cas particulier plus d’une raison empêchent d’admettre que l’âne soit un cheval dégénéré, il cite notamment l’impossibilité d’en obtenir des métis féconds, mais il caresse tellement cette idée de la dégénération qu’il est manifeste qu’elle hantait fortement son esprit. Il en était préoccupé à ce point qu’il lui a consacré un mémoire tout entier, et non des moins remarquables de son œuvre, ainsi que je le montrerai tout à l’heure.

Pour le moment, je me borne à montrer que le fond de sa pensée est manifestement la variabilité des espèces, ou plutôt la non-existence dans la