Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tageuse, un air noble, une figure imposante, une physionomie à la fois douce et majestueuse. L’enthousiasme pour le talent fit disparaître aux yeux de Mme de Buffon l’inégalité d’âge ; et, dans cette époque de la vie où la félicité semble se borner à remplacer par l’amitié et les souvenirs mêlés de regrets un bonheur plus doux qui nous échappe, il eut celui d’inspirer une passion tendre, constante, sans distraction comme sans nuage : jamais une admiration plus profonde ne s’unit à une tendresse plus vraie. Ces sentiments se montraient dans les regards, dans les manières, dans les discours de Mme de Buffon, et remplissaient son cœur et sa vie. Chaque nouvel ouvrage de son mari, chaque nouvelle palme ajoutée à sa gloire, étaient pour elle une source de jouissances d’autant plus douces, qu’elles étaient sans retour sur elle-même, sans aucun mélange de l’orgueil que pouvait lui inspirer l’honneur de partager la considération et le nom de M. de Buffon ; heureuse du seul plaisir d’aimer et d’admirer ce qu’elle aimait, son âme était fermée à toute vanité personnelle comme à tout sentiment étranger. »

Les amis de Buffon avaient essayé de le détourner de cette union ; ils lui représentaient la différence considérable d’âges qui existait entre lui et Mlle de Saint-Belin ; ils lui rappelaient sa volonté fréquemment exprimée de toujours conserver son indépendance. Rien n’y fit. Le 18 septembre 1752, il écrit à Guéneau de Montbéliard : « Vendredi matin la cérémonie sera faite ; nous reviendrons à Montbard le même jour et vous verrez que je me soucierai encore moins des critiques de mon mariage que de celles de mon livre. »

Le 23 novembre 1753, il écrit à l’abbé Leblanc : « J’ai reçu, mon cher ami, votre compliment avec d’autant plus de sensibilité que vous êtes plus en droit de penser que j’avais tort avec vous de ne vous avoir point parlé de mon mariage. Je vous remercie donc très sincèrement de cette marque de votre amitié, et je ne puis mieux y répondre qu’en vous avouant tout bonnement le motif de mon silence. Il en était de cette affaire comme de quelques autres, sur lesquelles nous ne pensons pas tout à fait l’un comme l’autre ; vous m’eussiez contredit ou blâmé, et je voulais l’éviter, parce que j’étais décidé et que, quelque cas que je fasse de mes amis, il y a des choses qu’on ne doit pas leur dire ; et de ce nombre sont celles qu’ils désapprouvent et auxquelles cependant on est déterminé. Au reste, je ne doute nullement, mon cher ami, de la part que vous voulez bien prendre à ma satisfaction, et je serais très fâché que vous eussiez vous-même quelque soupçon sur ma manière de penser. Les mauvais propos ne me feront jamais d’impression, parce que les mauvais propos ne viennent jamais que de mauvaises gens. »

Un témoin que j’ai plusieurs fois cité, Humbert Bazile, a retracé un tableau de l’affection de Buffon pour sa femme qu’il n’est pas inutile de reproduire, parce qu’il met en relief la sensibilité de ce naturaliste que quelques-uns de ses biographes ont dépeint comme un homme aussi égoïste que vain. « J’avais douze ans à la mort de la comtesse de Buffon. Depuis ses dernières couches