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elle était très souffrante, et ne se remit jamais entièrement. Mon père habitait Saint-Remy, sur la route de Montbard à Buffon ; je me souviens de l’avoir vue avec M. de Buffon venir rendre visite à mon père. Les soins de M. de Buffon étaient touchants, ses attentions délicates et constantes. Il avait fait entièrement sabler la route de Montbard à ses forges pour lui éviter les cahots (la route a plus d’une lieue). Je tiens de personnes estimables, qui fréquentaient journellement le château, que jamais la bonne harmonie du ménage ne fut un seul instant troublée ; il existait entre les époux un parfait accord de sentiments et de pensées. Lors de la dernière maladie de sa femme, M. de Buffon fut pour elle d’une bonté qui frappa tous ceux qui en furent les témoins. Il s’efforçait de ne point laisser paraître ses inquiétudes, passait auprès d’elle tous les instants que lui laissaient ses travaux, et, lorsqu’il était empêché de le faire, il envoyait d’heure en heure son valet de chambre prendre des nouvelles…. »

Buffon n’eut qu’à se louer d’avoir suivi son penchant. Malheureusement, Mme de Buffon mourut très jeune, à trente-sept ans, lui laissant un fils sur lequel se reporta toute son affection. L’attachement de Buffon pour cet enfant se montre dans un grand nombre de lettres de la correspondance recueillie avec tant de zèle par la piété filiale de M. H. de Buffon. Le naturaliste avait toujours songé à laisser à son fils la survivance de l’intendance du jardin royal et il avait dirigé son éducation dans ce sens ; mais, pendant la grave maladie qu’il fit en 1777, le comte d’Angeviller trouva le moyen de se faire promettre cette place par le comte de Maurepas. La douleur qu’en éprouva Buffon ne s’éteignit qu’avec sa vie. Tout ce que l’on put faire pour l’apaiser fut inutile. L’érection en comté de sa terre de Buffon, sa statue dressée, par ordre du roi, dans le Jardin des Plantes, pour ainsi dire à son insu, l’inscription si flatteuse qu’on y mit : Naturæ majestati par ingenium, ne furent que des palliatifs à sa douleur et à ses regrets. Sur ce jeune homme s’était reporté l’amour qu’il avait pour sa femme. Cependant il n’en garda pas rancune au comte d’Angeviller, qu’il continua à appeler son ami et qu’il nomme dans une lettre à Mme Necker son grand successeur.

Les lettres des amis et des collaborateurs de Buffon qui ont été publiées indiquent de leur part un attachement mêlé d’admiration dont peu de grands hommes ont été l’objet. Le président de Ruffey, le président de Brosses, l’abbé Leblanc, Jacques Varennes, ses amis d’enfance, Guéneau de Montbéliard et sa femme, Mme Daubenton et sa famille, l’abbé Bexon et sa sœur, Benjamin Nadault, Mme Nadault sa sœur, le père Ignace son aumônier, Trécourt son intendant, M. Laude précepteur de son fils, Humbert-Bazile son jeune secrétaire, le petit Buffon et sa jeune mère, puis Mme Necker, son amie des vieux ans, forment à Buffon une cour d’affection et de dévouement qui ne l’abandonna à aucune heure de sa vie, prenant sa part de la gloire du savant et se partageant la douce et inébranlable affection de l’homme.