Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/442

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origine, et duquel ils diffèrent plus ou moins, selon qu’ils ont été plus ou moins maniés par les hommes. »

Il indique alors comment il suppose qu’on a produit les races de pigeons domestiques : « Supposant une fois nos colombiers établis et peuplés, ce qui était le premier point et le plus difficile à remplir pour obtenir quelque empire sur une espèce aussi fugitive, aussi volage, on se sera bientôt aperçu que, dans le grand nombre de jeunes pigeons que ces établissements nous produisent à chaque saison, il s’en trouve quelques-uns qui varient pour la grandeur, la forme et les couleurs. On aura donc choisi les plus gros, les plus singuliers, les plus beaux ; on les aura séparés de la troupe commune pour les élever à part avec des soins plus assidus et dans une captivité plus étroite ; les descendants de ces esclaves choisis auront encore présenté de nouvelles variétés, qu’on aura distinguées, séparées des autres, unissant constamment et mettant ensemble ceux qui ont paru les plus beaux ou les plus utiles. Le produit en grand nombre est la première source des variétés dans les espèces ; mais le maintien de ces variétés et même leur multiplication dépend de la main de l’homme ; il faut recueillir de celle de la nature les individus qui se ressemblent le plus, les séparer des autres, les unir ensemble, prendre les mêmes soins pour les variétés qui se trouvent dans les nombreux produits de leurs descendants, et par ces attentions suivies on peut, avec le temps, créer à nos yeux, c’est-à-dire amener à la lumière une infinité d’êtres nouveaux que la nature seule n’aurait jamais produits : les semences de toute matière vivante lui appartiennent, elle en compose tous les germes des êtres organisés ; mais la combinaison, la succession, l’assortiment, la réunion ou la séparation de chacun de ces êtres, dépendent souvent de la volonté de l’homme : dès lors il est le maître de forcer la nature par ses combinaisons et de la fixer par son industrie ; de deux individus singuliers qu’elle aura produits comme par hasard, il en fera une race constante et perpétuelle, et de laquelle il tirera plusieurs autres races qui, sans ses soins, n’auraient jamais vu le jour. »

La sélection nécessite la ségrégation. Il est important de remarquer que Buffon distingue dans la sélection artificielle deux opérations : le choix des individus destinés à servir de souche à la variété qu’on veut créer, et leur isolement de tous les autres. La première opération, qui constitue la sélection proprement dite, serait inutile, si l’on n’avait pas, en même temps, recours à la seconde, à laquelle je donnerai ici le nom de ségrégation (de segregare, séparer). Si, en effet, on laissait les individus choisis, sélectés, en rapport avec les autres, il ne tarderait pas à y avoir des croisements entre les produits du couple sélecté et ceux des autres couples et l’on n’aboutirait à aucun résultat. Nous verrons que si Darwin a conclu trop facilement de la sélection artificielle à la sélection naturelle, c’est parce qu’il n’a pas tenu compte de la nécessité de la ségrégation.