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Résumé des idées de Buffon sur l’espèce et ses transformations. Avant d’aller plus loin, il me paraît utile de résumer en quelques lignes les idées de Buffon sur l’espèce et sur l’origine des espèces. En dépit de quelques passages, écrits sans nul doute en vue d’assurer sa tranquillité, et où il affirme la création et la fixité des espèces, toute son œuvre concourt à montrer que son opinion véritable est qu’il n’y a pas d’espèces, qu’il n’existe, selon son heureuse expression, que des individus, que les prétendues espèces, genres et familles des naturalistes ne sont que des groupes artificiels, destinés à faciliter la mise en ordre de nos connaissances, que des espèces nouvelles peuvent être produites soit par hybridation, soit par la sélection avec ségrégation, soit par la transformation des anciennes sous l’influence du climat, de la nourriture, et des autres conditions extérieures.

Buffon est le fondateur du transformisme. Buffon doit donc être considéré comme le véritable fondateur de la doctrine du transformisme et de l’évolution. On doit aussi le considérer comme le précurseur de Darwin, car le premier il a nettement formulé les principes et la mise en œuvre de la sélection.

Pour terminer l’exposé des idées de Buffon relativement aux rapports généraux des êtres vivants entre eux, il me resterait à montrer qu’il avait entrevu les phénomènes auxquels Darwin a donné les noms de « lutte pour l’existence » et de « sélection naturelle », mais je trouve préférable, afin d’éviter les répétitions, de remettre pour traiter ce sujet au moment où j’aurai à analyser les théories de Darwin.

Son influence sur les naturalistes du xviiie siècle. La publication, en 1749, des trois premiers volumes de l’Histoire naturelle dans lesquels se trouvaient exposées avec plus ou moins de détail la plupart des idées que nous venons de résumer, ne pouvait manquer de produire un effet considérable dans le monde savant. Elle fut l’occasion d’une division des naturalistes en deux camps opposés, dont les luttes ont duré, violentes, pendant toute la fin du siècle dernier et la première moitié de celui-ci.

En France, Adanson et Lamarck ; en Suisse, Ch. Bonnet ; en Allemagne, Oken et Gœthe furent successivement, au xviiie siècle, les défenseurs des idées de Buffon, tandis que toute l’école de Linné, de Jussieu, de Réaumur, forte surtout dans notre pays, resta fidèle au dogme de l’immutabilité des espèces. Je me sers avec intention du mot « dogme » parce que les préoccupations religieuses ne furent pas étrangères à la querelle, les partisans de l’immutabilité ayant pour eux l’Église, ceux de la mutabilité et de la transformation des espèces ayant, comme Buffon, à redouter son influence encore toute-puissante.

Les partisans de l’immutabilité des espèces. Les partisans de l’immutabilité et de la création indépendante des espèces, s’en tenant à la définition de l’espèce donnée par Linné, considéraient comme étant de la même espèce « tous les individus capables de donner des produits indéfiniment féconds » tandis qu’ils considéraient comme appartenant à des espèces différentes tous les individus qui ne se reproduisent pas entre eux ou qui donnent des produits à fécondité limitée, et ils ajoutaient : « L’espèce