Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/452

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refusent toute espèce de division : la nature en un mot rejette les classes et les familles, et contrarie presque partout les genres même les moins composés.

» Je sais combien ces principes s’éloignent des idées reçues, et même combien de noms illustres on pourrait m’opposer. Mais si les autorités doivent être appréciées plutôt que comptées, quel avantage n’est-ce pas pour moi de pouvoir citer en ma faveur un témoignage d’un aussi grand poids que celui de Buffon. »

Bonnet et le transformisme. L’année suivante, un naturaliste de grand talent, dont j’ai déjà parlé, le savant Ch. Bonnet, admettait l’enchaînement des êtres vivants découvert par Buffon trente ans auparavant. « Enfin, dit-il, dans la préface d’une édition de ses œuvres complètes publiée en 1779[1], un cinquième usage de la nouvelle découverte (celle de l’organisation et de la reproduction des polypes faite par Trembley et celle de la reproduction des insectes) est de nous montrer qu’il y a une gradation entre toutes les parties de cet univers ; vérité sublime et bien digne de devenir l’objet de nos méditations ! En effet, si nous parcourons les principales productions de la nature, nous croirons aisément remarquer qu’entre celles de différentes classes, et même entre celles de différents genres, il en est qui semblent tenir le milieu, et former ainsi comme autant de points de passage ou de liaisons. C’est ce qui se voit surtout dans les polypes. Les admirables propriétés qui leur sont communes avec les plantes, je veux dire la multiplication de bouture et celle par rejetons, indiquent suffisamment qu’ils sont le lien qui unit le règne végétal à l’animal. Cette réflexion m’a fait naître la pensée, peut-être téméraire, de dresser une échelle des êtres naturels, qu’on trouvera à la fin de cette préface. Je ne la produis que comme un essai, mais propre à nous faire concevoir les plus grandes idées du système du monde et de la Sagesse infinie qui en a formé et combiné les différentes pièces. Rendons-nous attentifs à ce beau spectacle. Voyons cette multitude innombrable de corps organisés, et non organisés, se placer les uns au-dessus des autres, suivant le degré de perfection ou d’excellence qui est en chacun. Si la suite ne nous en paraît pas partout également continue, c’est que nos connaissances sont encore très bornées : plus elles augmenteront, et plus nous découvrirons d’échelons ou de degrés. Elles auront atteint leur plus grande perfection lorsqu’il n’en restera plus à découvrir. Mais pouvons-nous l’espérer ici-bas ? Il n’y a apparemment que des intelligences célestes qui puissent jouir de cet avantage. Quelle ravissante perspective pour les esprits bienheureux que celle que leur offre l’échelle des êtres propres à chaque monde ! Et si, comme je le pense, toutes ces échelles, dont le nombre est presque infini, n’en forment qu’une seule qui réunit tous les ordres possibles de perfection, il faut convenir qu’on ne saurait rien concevoir de plus grand ni de plus relevé.

  1. Ch. Bonnet, Œuvres complètes, éd. 1779, t. Ier, p. xxx.