Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/462

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tudes sur notre organisation même. Or, comme ces actions et ces habitudes dépendent des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons habituellement, je vais essayer de montrer combien est grande l’influence qu’exercent ces circonstances sur la forme générale, sur l’état des parties et même sur l’organisation des corps vivants… L’influence des circonstances est effectivement en tout et partout agissante sur les corps qui jouissent de la vie ; mais ce qui rend pour nous cette influence difficile à apercevoir, c’est que ses effets ne deviennent sensibles ou reconnaissables (surtout dans les animaux), qu’à la suite de beaucoup de temps… Il devient nécessaire de m’expliquer sur le sens que j’attache à ces expressions : Les circonstances influent sur la forme et l’organisation des animaux, c’est-à-dire qu’en devenant très différentes, elles changent, avec le temps, et cette forme et l’organisation elle-même, par des modifications proportionnées.

» Assurément, si l’on prenait ces expressions à la lettre, on m’attribuerait une erreur ; car quelles que puissent être les circonstances, elles n’opèrent directement sur la forme et l’organisation des animaux aucune modification quelconque.

» Mais de grands changements dans les circonstances amènent pour les animaux de grands changements dans leurs besoins, et de pareils changements dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constants et très durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître. Voilà ce qu’il est facile de démontrer et même ce qui n’exige aucune explication pour être senti.

» Il est donc évident qu’un grand changement dans les circonstances devenu constant pour une race d’animaux entraîne ces animaux à de nouvelles habitudes.

» Or, si de nouvelles circonstances devenues permanentes pour une race d’animaux ont donné à ces animaux de nouvelles habitudes, c’est-à-dire les ont portés à de nouvelles actions qui sont devenues habituelles, il en sera résulté l’emploi de telle partie par préférence à celui de telle autre, et, dans certains cas, le défaut total d’emploi de telle partie qui est devenue inutile.

» D’une part, de nouveaux besoins ayant rendu telle partie nécessaire, ont réellement, par une suite d’efforts, fait naître cette partie, et ensuite son emploi soutenu l’a peu à peu fortifiée, développée, et a fini par l’agrandir considérablement ; d’une autre part, dans certains cas, les nouvelles circonstances et les nouveaux besoins ayant rendu telle partie tout à fait inutile, le défaut total d’emploi de cette partie a été cause qu’elle a cessé graduellement de recevoir les développements que les autres parties de l’animal obtiennent ; qu’elle s’est amaigrie et atténuée peu à peu, et qu’enfin lorsque le défaut d’emploi a été total pendant beaucoup de temps, la partie dont il est question a fini par disparaître.