Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/468

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travaille constamment avec les mêmes matériaux : elle n’est inférieure qu’à en varier les formes. Comme si, en effet, elle était soumise à de premières données, on la voit tendre toujours à faire reparaître les mêmes éléments en même nombre, dans les mêmes circonstances et avec les mêmes connexions[1] ». Geoffroy avait été l’élève de Daubenton qui, lui-même, on le sait, avait été le collaborateur de Buffon et avait écrit tous les articles d’anatomie comparée de l’Histoire naturelle ; or selon l’expression de Flourens « ayant peu d’idées, Daubenton n’en tenait que plus à celles qui lui venaient de Buffon »[2].

Plus on pénétrait dans l’étude comparée de l’organisation des animaux plus cette unité de plan, dont parlent Buffon et Geoffroy, devenait évidente. Les esprits les plus timides eux-mêmes ne pouvaient échapper à son influence. Savigny établissait, en se fondant sur la loi des connexions de Geoffroy, la nature véritable des différentes pièces de la bouche des insectes ; Milne-Edwards faisait l’application de la même loi à la bouche des suceurs et à celle des crustacés ; partout, mais surtout à l’étranger, les naturalistes se donnaient pour objet de rechercher, non plus des différences entre les groupes des animaux, mais au contraire des ressemblances et des analogies. On cherchait, en un mot, à faire de la synthèse.

La loi du balancement des organes. Indépendamment de la loi des connexions, Geoffroy invoquait à l’appui de théorie des analogies, ce qu’il appelait la loi du balancement des organes, en vertu de laquelle toutes les fois qu’un organe prend un accroissement exagéré, un autre organe subit un décroissement plus ou moins rigoureusement proportionnel. Il attribuait à ce phénomène une partie des variations de formes que présentent les organismes animaux.

Il faisait remarquer en outre, et c’est là incontestablement la plus belle de ses conceptions, que dans le cours de son développement, chaque espèce animale passe successivement par des états qui correspondent aux formes permanentes des espèces plus inférieures. L’homme, par exemple, passait dans son évolution individuelle par une série de phases répondant aux zoophytes, aux articulés, aux poissons, etc. Cette idée est une de celles qui devaient jeter le plus de jour sur les rapports de filiation qui existent entre tous les animaux ; c’est celle que M. Hæckel a présentée récemment avec cette formule : « L’ontogenèse ou l’évolution individuelle, est une courte et rapide récapitulation de la phylogenèse ou du développement du groupe correspondant, c’est-à-dire de la chaîne ancestrale de l’individu[3]. » Je reviendrai plus bas sur cette question.

  1. Comparez cela avec les citations de Buffon faites plus haut.
  2. Flourens, De l’unité de composition, p. 138.
  3. Hist. de la création naturelle, p. 274 ; (Gener. Morphol., II). Geoffroy-Saint-Hilaire avait encore introduit dans la science un élément de progrès important en montrant, dans sa Philosophie anatomique, que pour déterminer la nature véritable d’un organe et son analogie avec les organes d’un autre animal, il faut s’adresser non pas à l’adulte mais à l’embryon.