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plus éminents ont, pendant le cours d’une seule vie d’homme, considérablement modifié leurs bestiaux et leurs moutons. »

Buffon a précédé Darwin dans la doctrine de la sélection artificielle. Cette sélection volontaire, artificielle comme il la nomme dans tous ses écrits, à l’aide de laquelle l’homme a produit des variétés nouvelles, c’est l’éclair qui illumine l’esprit de Darwin. Mais cet éclair, il importe de le faire remarquer, n’a pas jailli dans ses propres méditations. Il brille de tout son éclat dans maints endroits de l’oeuvre de Buffon. J’ai cité plus haut sa superbe description de ce que Darwin appelle « la sélection artificielle » appliquée aux pigeons, aux chats, aux chiens, aux chevaux, etc. Je dois faire remarquer en outre que Buffon, beaucoup plus précis que Darwin, a eu soin d’indiquer comment peuvent surgir les variétés accidentelles que l’homme sélectera, et que d’autre part, il insistait sur la nécessité, d’isoler, de séparer, de ségréger comme on dit aujourd’hui, les individus sélectés, si l’on veut obtenir une race nouvelle. La cause déterminante de la variation, c’est, pour Buffon, la nourriture, le climat, l’habitation, etc., en un mot, les conditions auxquelles est soumis l’animal, c’est aussi l’hybridation des races ou le croisement d’individus provenant de familles distinctes, de localités différentes, etc. Darwin ne parle pas de la nécessité d’isoler les individus sélectés artificiellement parce que, sans doute, il avait vu l’embarras qu’elle lui occasionnerait dans l’établissement du reste de sa doctrine.

Quoi qu’il en soit, un premier fait est acquis : à Buffon revient l’honneur d’avoir signalé et précisé avec autant d’exactitude que possible le rôle de la sélection dans la production des variétés et des espèces domestiques. Il me paraît singulier que ni Darwin, ni aucun autre naturaliste de ce temps n’en ait encore fait la remarque. Cela est surtout étrange de la part de Darwin, qui a été le bibliophile le plus minutieux de notre époque.

La lutte pour l’existence. Ayant constaté l’importance de la sélection artificielle dans la formation des races et des variétés domestiques, Darwin se demande s’il ne se passe pas dans la nature quelque chose d’analogue. Il est mis sur la voie par les travaux de Malthus, relatifs aux relations qui existent entre le développement des animaux et de l’homme et leur alimentation.

Malthus avait établi, vers le commencement de ce siècle, dans un livre célèbre, l’Essai sur le principe de population, que les animaux croissent dans la proportion géométrique, tandis que les aliments ne peuvent augmenter que dans une proportion arithmétique, d’où il résulte que si les animaux ou les hommes n’étaient pas détruits d’une façon quelconque, ils finiraient par succomber faute de nourriture. Mais il est bien évident que tous les individus ne courent pas les mêmes chances de destruction ; les plus forts, ceux qui savent le mieux se procurer des aliments résistent, tandis que les autres disparaissent. C’est le point de départ de toute la doctrine que Darwin a désignée sous le nom de sélection naturelle. Il constate justement, après Malthus, après Lamarck, après Buffon, ainsi que je le mon-