Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/477

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temps des lois et des usages qui souvent ne préviennent que trop cet excès de multiplication. Dans les climats excessivement féconds, comme à la Chine, en Égypte, en Guinée, on relègue, on vend, on noie les enfants ; ici, on les condamne à un célibat perpétuel. Ceux qui existent s’arrogent aisément des droits sur ceux qui n’existent pas ; comme êtres nécessaires, ils anéantissent les êtres contingents, ils suppriment pour leur aisance, pour leur commodité, les générations futures. Il se fait sur les hommes, sans qu’on s’en aperçoive, ce qui se fait sur les animaux ; on les soigne, on les multiplie, on les néglige, on les détruit selon le besoin, les avantages, l’incommodité, les désagréments qui en résultent ; et comme tous ces effets moraux dépendent eux-mêmes des causes physiques qui, depuis que la terre a pris sa consistance, sont dans un état fixe et dans un équilibre permanent, il paraît que pour l’homme comme pour les animaux, le nombre d’individus dans l’espèce ne peut qu’être constant. Au reste, cet état fixe et ce nombre constant ne sont pas des quantités absolues : toutes les causes physiques et morales, tous les effets qui en résultent, sont compris et balancent entre certaines limites plus ou moins étendues, mais jamais assez grandes pour que l’équilibre se rompe. Comme tout est en mouvement dans l’univers, et que toutes les forces répandues dans la matière agissent les unes contre les autres et se contre-balancent, tout se fait par des espèces d’oscillations, dont les points milieux sont ceux auxquels nous rapportons le cours ordinaire de la nature, et dont les points extrêmes en sont les périodes les plus éloignées. En effet, tant dans les animaux que dans les végétaux, l’excès de la multiplication est ordinairement suivi de la stérilité ; l’abondance et la disette se présentent tour à tour, et souvent se suivent de si près, que l’on pourrait juger de la production d’une année par le produit de celle qui la précède. Les pommiers, les pruniers, les chênes, les hêtres et la plupart des autres arbres fruitiers et forestiers, ne portent abondamment que de deux années l’une ; les chenilles, les hannetons, les mulots et plusieurs autres animaux qui dans certaines années se multiplient à l’excès, ne paraissent qu’en petit nombre l’année suivante. Que deviendraient en effet tous les biens de la terre, que deviendraient les animaux utiles et l’homme lui-même, si dans ces années excessives chacun de ces insectes se reproduisait pour l’année suivante par une génération proportionnelle à leur nombre ? Mais non : les causes de destruction, d’anéantissement et de stérilité suivent immédiatement celles de la trop grande multiplication ; et indépendamment de la contagion, suite nécessaire des trop grands amas de toute matière vivante dans un même lieu, il y a dans chaque espèce des causes particulières de mort et de destruction, que nous indiquerons dans la suite, et qui seules suffisent pour compenser les excès des générations précédentes. Au reste, je le répète encore, ceci ne doit pas être pris dans un sens absolu ni même strict, surtout pour les espèces qui ne sont pas abandonnées en entier à la nature