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végétaux luttent entre eux et ils luttent contre les conditions du milieu cosmique.

Les végétaux luttent entre eux pour la nourriture, chaque espèce tendant à s’emparer du sol au détriment des autres ; ils luttent contre les animaux et l’homme qui les mangent, et n’échappent à la destruction que grâce à une multiplication très rapide et aux mille procédés à l’aide desquels ils dispersent leurs graines ; enfin ils luttent contre les conditions climatériques, contre la chaleur, le froid, la sécheresse, les vents, l’électricité, etc. Les animaux luttent entre eux, d’espèces à espèces, les unes détruisant les autres ; et, dans la même espèce, chaque individu consommant une portion de nourriture dont souvent il prive un certain nombre d’autres ; ils luttent aussi pour leurs femelles, chaque individu cherchant à s’emparer d’une ou plusieurs femelles, dont il ne laisse souvent plus approcher les autres, et chaque femelle choisissant de préférence les mâles les plus beaux et les plus forts. Le résultat de toutes les luttes, est la persistance des mieux armés, le triomphe des plus forts, des plus beaux, de ceux qui se multiplient le plus rapidement.

Buffon et la lutte pour l’existence. Jusque-là point de contestations et rien de bien nouveau. Buffon avait entrevu ces faits, ainsi que le prouvent les citations suivantes, mais Darwin a le grand mérite d’en avoir réuni un grand nombre, de les avoir coordonnées et d’en avoir nettement montré la signification.

L’idée de Darwin n’est-elle pas contenue tout entière dans ces lignes de Buffon[1] : « Lorsqu’on réfléchit sur cette fécondité sans bornes donnée à chaque espèce, sur le produit innombrable qui doit en résulter, sur la prompte et prodigieuse multiplication de certains animaux qui pullulent tout à coup et viennent par milliers dévaster les campagnes et ravager la terre, on est étonné qu’ils n’envahissent pas la nature ; on craint qu’ils ne l’oppriment par le nombre et qu’après avoir dévoré sa substance ils ne périssent eux-mêmes avec elle. » Après avoir retracé les dégâts occasionnés par les bandes de sauterelles et de rats, et par les hordes sauvages des hommes du Nord, il ajoute : « Les grands événements, les époques si marquées dans l’histoire du genre humain ne sont cependant que de légères vicissitudes dans le cours ordinaire de la nature vivante ; il est en général toujours constant, toujours le même ; son mouvement toujours régulier, roule sur deux pivots inébranlables : l’un, la fécondité sans bornes donnée à toutes les espèces, l’autre, les obstacles sans nombre qui réduisent cette fécondité à une mesure déterminée et ne laissent en tout temps qu’à peu près la même quantité d’individus de chaque espèce. » Il montre l’espèce humaine se limitant elle-même : « lorsqu’une portion de la terre est surchargée d’hommes, ils se dispersent, ils se répandent, ils se détruisent, et il s’établit en même

  1. Buffon, t. IX, p. 37-40.