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et sauvages nourrissent l’homme ou deviennent la proie des animaux carnassiers.

« Ainsi la mort violente est un usage presque aussi nécessaire que la loi de la mort naturelle : ce sont deux moyens de destruction et de renouvellement, dont l’un sert à entretenir la jeunesse perpétuelle de la nature, et dont l’autre maintient l’ordre de ses productions, et peut seul limiter le nombre dans les espèces. Tous deux sont des effets dépendants des causes générales, chaque individu qui naît tombe de lui-même au bout d’un temps, ou, lorsqu’il est prématurément détruit par les autres, c’est qu’il était surabondant. Et combien n’y en a-t-il pas de supprimés d’avance ! que de fleurs moissonnées au printemps ! que de races éteintes au moment de leur naissance ! que de germes anéantis avant leur développement ! L’homme et les animaux carnassiers ne vivent que d’individus tout formés, ou d’individus prêts à l’être ; la chair, les œufs, les graines, les germes de toute espèce font leur nourriture ordinaire : cela seul peut borner l’exubérance de la nature. Que l’on considère un instant quelqu’une de ces espèces inférieures qui servent de pâture aux autres, celle des harengs, par exemple ; ils viennent par milliers s’offrir à nos pêcheurs, et après avoir nourri tous les monstres des mers du Nord, ils fournissent encore à la subsistance de tous les peuples de l’Europe pendant une partie de l’année. Quelle pullulation prodigieuse parmi ces animaux ! et s’ils n’étaient en grande partie détruits par les autres, quels seraient les effets de cette immense multiplication ! eux seuls couvriraient la surface entière de la mer ; mais bientôt se nuisant par le nombre, ils se corrompraient, ils se détruiraient eux-mêmes ; faute de nourriture suffisante leur fécondité diminuerait ; la contagion et la disette feraient ce que fait la consommation ; le nombre de ces animaux ne serait guère augmenté, et le nombre de ceux qui s’en nourrissent serait diminué. Et comme l’on peut dire la même chose de toutes les autres espèces, il est donc nécessaire que les uns vivent sur les autres ; et dès lors la mort violente des animaux est un usage légitime, innocent, puisqu’il est fondé sur la nature et qu’ils ne naissent qu’à cette condition ».

Dans l’histoire du rat, il insiste sur la rapide multiplication des animaux de petite taille et dépourvus de force, comme moyen de résister aux causes de destruction dont ils sont entourés ; il y ajoute cette idée ingénieuse et vraie que parmi les petits animaux ce sont non seulement les individus d’une même espèce qui sont nombreux, mais encore les espèces voisines elles-mêmes.

« Descendant par degrés du grand au petit, dit-il[1], du fort au faible, nous trouverons que la nature a su tout compenser ; qu’uniquement attentive à la conservation de chaque espèce, elle fait profusion d’individus, et se soutient

  1. Buffon, t. IX, p. 103.