Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/57

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l’imbécillité et à la méchanceté des hommes, ces brochures sont devenues d’une nécessité indispensable pour un grand succès, et il n’y en a point de complet sans elles. Ce sont les productions, comme dit un de nos philosophes dans un ouvrage qui va paraître, de ceux qui usurpent le titre de philosophes ou de beaux esprits, et qui ne rougissent point de ressembler à ces insectes importuns qui passent les instants de leur existence éphémère à troubler l’homme dans ses travaux et dans son repos. Quand les insectes font des piqûres sans venin, quand l’envie se tient aux brochures et aux feuilles, l’homme de génie dédaigne l’un et l’autre, et aurait honte d’écraser un ennemi aussi méprisable ; mais, quand la morsure est envenimée, quand la cabale et la calomnie trouvent le secret de dénigrer le philosophe dans la société, de rendre suspectes les mœurs des hommes les plus respectables, et leur sûreté et leur repos mal assurés, alors l’indignation s’en mêle et doit s’en mêler, et la justice demanderait d’exterminer des êtres aussi nuisibles dans la nature et aussi indignes de leur existence. »

Cependant, en 1756, après l’apparition du sixième volume, Grimm revient sur sa première appréciation. Il exalte Daubenton au détriment de Buffon, sans autre motif, peut-être, que la mauvaise humeur produite parmi ses amis politiques par la peinture des plaisirs de la chasse que le naturaliste avait jointe à la description du cerf. « 1er novembre 1756. — MM. de Buffon et Daubenton viennent de donner le sixième volume de l’Histoire naturelle. Il contient l’histoire et la description du chat, des animaux sauvages en général, du cerf, du daim, du chevreuil, du lièvre et du lapin. Vous savez que M. de Buffon est chargé de l’histoire naturelle, et M. Daubenton de la description et de la partie anatomique. On ne parle point à Paris du travail de ce dernier ; comme c’est un travail de recherche plus utile que brillant, il n’intéresse guère des gens qui ne cherchent qu’à s’amuser et point du tout à s’instruire. Nous ne sommes occupés que des morceaux de M. de Buffon, dont les sujets sont plus de notre goût, et qui les traite avec une pompe, une harmonie et une magnificence de style qui ne peuvent manquer de nous tourner la tête. En effet, c’est une chose fort singulière que le cas qu’on fait à Paris du style ; il n’y a rien qu’on ne soit sûr de faire réussir par ce moyen… Mais je crois que le mérite de M. de Buffon perdra de son éclat chez la postérité autant que chez les étrangers. La beauté de l’harmonie tient à une si grande finesse d’organes, à une manière si déliée d’affecter l’oreille, qu’elle ne se fait sentir qu’à un petit nombre de gens de goût résidant dans la capitale, et formés par un long exercice. Elle est presque perdue pour la province et pour les étrangers ; elle le sera totalement pour la postérité, qui, négligeant la forme, ne pourra juger que les idées et le fond. Au contraire, la réputation de M. Daubenton ne pourra que gagner auprès d’elle. Son mérite est durable et solide ; seulement, il n’appartient pas aux oisifs de Paris de l’apprécier. Tenons-nous-en donc aux morceaux de M. de Buffon, et, pour le juger avec sincérité, soyons per-