Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/58

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pétuellement en garde contre la majesté et la poésie séduisante de son style. S’il lui arrivait d’abuser de cet instrument dangereux contre les intérêts de la vérité, il serait plus coupable qu’un autre, à proportion que ses talents sont plus grands de ce côté. C’est donc un reproche grave que j’ai à lui faire sur l’éloge pompeux de la chasse qu’il a mis à côté de l’histoire naturelle du cerf. Je ne veux pas le soupçonner d’avoir voulu faire sa cour aux grands, et flatter leur goût dominant au mépris de la vérité et de ses droits sacrés : ce serait une bassesse impardonnable… »

Grimm traite encore moins bien le septième volume de l’Histoire naturelle. « 15 août 1759. — Le septième volume de l’Histoire naturelle paraît depuis plusieurs mois. Cet ouvrage s’avance au milieu de la persécution qu’on a suscitée à la philosophie ; mais ce n’est pas sans faire de fréquents sacrifices de la liberté et de la hardiesse avec laquelle il convient de dire la vérité. L’alarme que le livre de l’Esprit a jetée dans le camp des fidèles a obligé M. de Buffon de mettre à ce nouveau volume de son Histoire, déjà imprimé depuis quelque temps, plusieurs cartons avant que d’oser le faire paraître en public. Quoi qu’il en soit, ce volume contient l’histoire naturelle du loup, du renard, du blaireau, de la loutre, de la fouine, de la martre, du putois, du furet, de la belette, de l’hermine, de l’écureuil, du rat, de la souris, du mulot, du rat d’eau et du campagnol. À la fin de l’histoire de chacun de ces animaux, écrite par M. de Buffon, vous trouverez, conformément au plan de l’ouvrage, la description de ces animaux avec leurs dimensions et leur anatomie, par M. Daubenton ; et cette partie, quoique la moins brillante, ne sera pas la moins estimée dans la suite. Comme tous les animaux de ce volume sont de la classe des carnassiers, M. de Buffon a mis à la tête un discours sur les animaux carnassiers en général, et c’est là le morceau remarquable de son volume. Vous connaissez le style de M. de Buffon. Cet écrivain n’abonde pas en idées ; mais la noblesse de ses images et l’élévation de sa plume le font lire avec un grand plaisir. »

Le reproche de ne pas « abonder en idées » que fait Grimm à Buffon prouve de la façon la plus manifeste ce que j’ai avancé plus haut, que les encyclopédistes n’avaient pas compris la véritable portée de l’œuvre du naturaliste.

L’attitude de Voltaire est encore plus significative. Il ne peut pas supporter que la terre ait été jadis recouverte par la mer et que les coquilles trouvées dans le sol soient les restes d’animaux marins. Il craint, sans doute, que l’opinion de Buffon ne soit invoquée en faveur du déluge et des Écritures et il s’empresse de travailler à la rendre ridicule. Est-ce un motif analogue, ou quelque mécontentement personnel qui faisait dire à d’Alembert en parlant de Buffon, qu’il appelait « le grand phrasier, le roi des phrasiers » : « Ne me parlez pas de votre Buffon, ce comte de Tuffières, qui, au lieu de nommer simplement le cheval, s’écrie : la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal… »