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que, dans l’intérieur des terres australes, on trouverait aussi des hommes réunis en société dans les contrées élevées, d’où ces grands fleuves qui amènent à la mer ces glaces prodigieuses tirent leur source.

L’intérieur de l’Afrique nous est inconnu, presque autant qu’il l’était aux anciens ; ils avaient, comme nous, fait le tour de cette presqu’île par mer ; mais, à la vérité, ils ne nous avaient laissé ni cartes ni description de ces côtes. Pline nous dit qu’on avait, dès le temps d’Alexandre, fait le tour de l’Afrique, qu’on avait reconnu dans la mer d’Arabie des débris de vaisseaux espagnols, et que Hannon, général carthaginois, avait fait le voyage depuis Gadès jusqu’à la mer d’Arabie, qu’il avait même donné par écrit la relation de ce voyage. Outre cela, dit-il, Cornelius Nepos nous apprend que de son temps un certain Eudoxe, persécuté par le roi Lathurus, fut obligé de s’enfuir ; qu’étant parti du golfe Arabique, il était arrivé à Gadès, et qu’avant ce temps on commerçait d’Espagne en Éthiopie par la mer. (Voyez Pline, Hist. nat., tom. I, lib. 2.) Cependant, malgré ces témoignages des anciens, on s’était persuadé qu’ils n’avaient jamais doublé le cap de Bonne-Espérance, et l’on a regardé comme une découverte nouvelle cette route que les Portugais ont prise les premiers pour aller aux grandes Indes : on ne sera peut-être pas fâché de voir ce qu’on en croyait dans le ixe siècle.

« On a découvert de notre temps une chose toute nouvelle, et qui était inconnue autrefois à ceux qui ont vécu avant nous. Personne ne croyait que la mer qui s’étend depuis les Indes jusqu’à la Chine eût communication avec la mer de Syrie, et on ne pouvait se mettre cela dans l’esprit. Voici ce qui est arrivé de notre temps, selon ce que nous en avons appris : On a trouvé dans la mer de Roum ou Méditerranée les débris d’un vaisseau arabe que la tempête avait brisé, et tous ceux qui le montaient étant péris, les flots l’ayant mis en pièces, elles furent portées par le vent et par la vague jusque dans la mer des Cozars, et de là au canal de la mer Méditerranée, d’où elles furent enfin jetées sur la côte de Syrie. Cela fait voir que la mer environne tout le pays de la Chine et de Cila, l’extrémité du Turquestan et le pays des Cozars ; qu’ensuite elle coule par le détroit jusqu’à ce qu’elle baigne la côte de Syrie. La preuve est tirée de la construction du vaisseau dont nous venons de parler ; car il n’y a que les vaisseaux de Siraf, dont la fabrique est telle que les bordages ne sont point cloués, mais joints ensemble d’une manière particulière, de même que s’ils étaient cousus ; au lieu que ceux de tous les vaisseaux de la mer Méditerranée et de la côte de Syrie sont cloués, et ne sont pas joints de cette manière. » (Voyez les Anciennes relations des Voyages faits par terre à la Chine, p. 53 et 54.)

Voici ce qu’ajoute le traducteur de cette ancienne relation.

« Abuziel remarque comme une chose nouvelle et fort extraordinaire, qu’un vaisseau fut porté de la mer des Indes sur les côtes de Syrie. Pour trouver le passage dans la mer Méditerranée, il suppose qu’il y a une grande étendue de mer au-dessus de la Chine, qui a communication avec la mer des Cozars, c’est-à-dire de Moscovie. La mer qui est au delà du cap des Courants était entièrement inconnue aux Arabes à cause du péril extrême de la navigation, et le continent était habité par des peuples si barbares, qu’il n’était pas facile de les soumettre ni même de les civiliser par le commerce. Les Portugais ne trouvèrent depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’à Soffala aucuns Maures établis, comme ils en trouvèrent depuis dans toutes les villes maritimes jusqu’à la Chine. Cette ville était la dernière que connaissaient les géographes ; mais ils ne pouvaient dire si la mer avait communication par l’extrémité de l’Afrique avec la mer de Barbarie, et ils se contentaient de la décrire jusqu’à la côte de Zinge, qui est celle de la Cafrerie ; c’est pourquoi nous ne pouvons douter que la première découverte du passage de cette mer par le cap de Bonne-Espérance n’ait été faite par les Européens sous la conduite de Vasco de Gama, ou au moins quelques années avant qu’il doublât