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le cap, s’il est vrai qu’il se soit trouvé des cartes marines plus anciennes que cette navigation, où le cap était marqué sous le nom de Fronteira da Afriqua. Antoine Galvan témoigne, sur le rapport de Francisco de Sousa Tavares, qu’en 1528 l’infant dom Fernand lui fit voir une semblable carte qui se trouvait dans le monastère d’Acoboca, et qui était faite il y avait 120 ans, peut-être sur celle qu’on dit être à Venise dans le trésor de Saint-Marc, et qu’on croit avoir été copiée sur celle de Marc Paolo, qui marque aussi la pointe de l’Afrique, selon le témoignage de Ramusio, etc. » L’ignorance de ces siècles au sujet de la navigation autour de l’Afrique paraîtra peut-être moins singulière que le silence de l’éditeur de cette ancienne relation au sujet des passages d’Hérodote, de Pline, etc., que nous avons cités, et qui prouvent que les anciens avaient fait le tour de l’Afrique.

Quoi qu’il en soit, les côtes de l’Afrique nous sont actuellement bien connues ; mais, quelques tentatives qu’on ait faites pour pénétrer dans l’intérieur du pays, on n’a pu parvenir à le connaître assez pour en donner des relations exactes. Il serait cependant fort à souhaiter que, par le Sénégal ou par quelque autre fleuve, on pût remonter bien avant dans les terres et s’y établir ; on y trouverait, selon toutes les apparences, un pays aussi riche en mines précieuses que l’est le Pérou ou le Brésil, car on sait que les fleuves de l’Afrique charrient beaucoup d’or ; et comme ce continent est un pays de montagnes très élevées, et que d’ailleurs il est situé sous l’équateur, il n’est pas douteux qu’il ne contienne, aussi bien que l’Amérique, les mines des métaux les plus pesants, et les pierres les plus compactes et les plus dures.

La vaste étendue de la Tartarie septentrionale et orientale n’a été reconnue que dans ces derniers temps. Si les cartes des Moscovites sont justes, on connaît à présent les côtes de toute cette partie de l’Asie, et il parait que, depuis la pointe de la Tartarie orientale jusqu’à l’Amérique septentrionale, il n’y a guère qu’un espace de quatre ou cinq cents lieues ; on a même prétendu tout nouvellement que ce trajet était bien plus court, car, dans la Gazette d’Amsterdam du 24 janvier 1747, il est dit à l’article de Pétersbourg que M. Stoller avait découvert au delà de Kamtschatka une des îles de l’Amérique septentrionale, et qu’il avait démontré qu’on pouvait y aller des terres de l’empire de Russie par un petit trajet. Des jésuites et d’autres missionnaires ont aussi prétendu avoir reconnu en Tartarie des sauvages qu’ils avaient catéchisés en Amérique, ce qui supposerait en effet que le trajet serait encore bien plus court. (Voyez l’Histoire de la Nouvelle-France, par le Père Charlevoix, t. III, p. 30 et 31.) Cet auteur prétend même que les deux continents de l’ancien et du nouveau monde se joignent par le nord, et il dit que les dernières navigations des Japonais donnent lieu de juger que le trajet dont nous avons parlé n’est qu’une baie, au-dessus de laquelle on peut passer par terre d’Asie en Amérique ; mais cela demande confirmation, car jusqu’à présent on a cru, avec quelque sorte de vraisemblance, que le continent du pôle arctique est séparé en entier des autres continents, aussi bien que celui du pôle antarctique.

L’astronomie et l’art de la navigation sont portés à un si haut point de perfection, qu’on peut raisonnablement espérer d’avoir un jour une connaissance exacte de la surface entière du globe. Les anciens n’en connaissaient qu’une assez petite partie, parce que, n’ayant pas la boussole, ils n’osaient se hasarder dans les hautes mers. Je sais bien que quelques gens ont prétendu que les Arabes avaient inventé la boussole, et s’en étaient servis longtemps avant nous pour voyager sur la mer des Indes et commercer jusqu’à la Chine (Voy. l’Abrégé de l’Hist. des Sarrasins de Bergeron, p. 119) ; mais cette opinion m’a toujours paru dénuée de toute vraisemblance, car il n’y a aucun mot dans les langues arabe, turque ou persane qui puisse signifier la boussole ; ils se servent du mot italien bossola ; ils ne savent pas même encore aujourd’hui faire des boussoles ni aimanter les aiguilles, et ils achètent des Européens celles dont ils se servent. Ce que dit