Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/161

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y trouve, que la chaîne des montagnes des Alpes ait été autrefois couverte des eaux de la mer, et qu’au-dessus de cette chaîne de montagnes il y eût une grande épaisseur de sable vitrifiable que l’eau de la mer y avait transporté et déposé, de la même façon et par les mêmes causes qu’elle a déposé et transporté dans les lieux un peu plus bas de ces montagnes une grande quantité de coquillages, et considérons cette couche extérieure de sable vitrifiable comme posée d’abord de niveau et formant un plat pays de sable au-dessus des montagnes des Alpes, lorsqu’elles étaient encore couvertes des eaux de la mer ; il se sera formé dans cette épaisseur de sable des noyaux de roc, de grès, de caillou et de toutes les matières qui prennent leur origine et leur figure dans les sables par une mécanique à peu près semblable à celle de la cristallisation des sels. Ces noyaux une fois formés auront soutenu les parties où ils se sont trouvés, et les pluies auront détaché peu à peu tout le sable intermédiaire, aussi bien que celui qui les environnait immédiatement ; les torrents, les ruisseaux, en se précipitant du haut de ces montagnes, auront entraîné ces sables dans les vallons, dans les plaines, et en auront conduit une partie jusqu’à la mer ; de cette façon, le sommet des montagnes se sera trouvé à découvert, et les noyaux déchaussés auront paru dans toute leur hauteur : c’est ce que nous appelons aujourd’hui des pics ou des cornes de montagnes, et ce qui a formé toutes ces éminences pointues qu’on voit en tant d’endroits ; c’est aussi là l’origine de ces roches élevées et isolées qu’on trouve à la Chine et dans d’autres endroits, comme en Irlande, où on leur a donné le nom de Devil’s stones ou pierres du Diable, et dont la formation, aussi bien que celle des pics des montagnes, avait toujours paru une chose difficile à expliquer : cependant l’explication que j’en donne est si naturelle qu’elle s’est présentée d’abord à l’esprit de ceux qui ont vu ces roches, et je dois citer ici ce qu’en dit le père Du Tartre dans les Lettres édifiantes : « De Yan-chuin-yen nous vînmes à Ho-tcheou ; nous rencontrâmes en chemin une chose assez particulière : ce sont des roches d’une hauteur extraordinaire et de la figure d’une grosse tour carrée qu’on voit plantées au milieu des plus vastes plaines ; on ne sait comment elles se trouvent là, si ce n’est que ce furent autrefois des montagnes, et que les eaux du ciel, ayant peu à peu fait ébouler la terre qui environnait ces masses de pierre, les aient ainsi à la longue escarpées de toutes parts : ce qui fortifie la conjecture, c’est que nous en vîmes quelques-unes qui, vers le bas, sont encore environnées de terre jusqu’à une certaine hauteur. » (Voyez Lettr. édif. rec. 2, t. Ier, p. 135, etc.)

Le sommet des plus hautes montagnes est donc ordinairement composé de rochers et de plusieurs espèces de granit, de roc vif, de grès et d’autres matières dures et vitrifiables, et cela souvent jusqu’à deux ou trois cents toises en descendant ; ensuite, on y trouve souvent des carrières de marbre ou de pierre dure qui sont remplies de coquilles, et dont la matière est calcinable, comme on peut le remarquer à la grande Chartreuse en Dauphiné et sur le mont Cenis, où les pierres et les marbres, qui contiennent des coquilles, sont à quelques centaines de toises au-dessous des sommets, des pointes et des pics des plus hautes montagnes, quoique ces pierres remplies de coquilles soient elles-mêmes à plus de mille toises au-dessus du niveau de la mer. Ainsi les montagnes où l’on voit des pointes ou des pics sont ordinairement de roc vitrifiable, et celles dont les sommets sont plats contiennent pour la plupart des marbres et des pierres dures remplies de productions marines. Il en est de même des collines lorsqu’elles sont de grès ou de roc vif ; elles sont pour la plupart entrecoupées de pointes, d’éminences, de tertres et de cavités, de profondeurs et de petits vallons intermédiaires ; au contraire, celles qui sont composées de pierres calcinables sont à peu près égales dans toute leur hauteur, et elles ne sont interrompues que par des gorges et des vallons plus grands, plus réguliers et dont les angles sont correspondants ; enfin elles sont couronnées de rochers dont la position est régulière et de niveau.