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Le plus grand gouffre que l’on connaisse est celui de la mer de Norvège ; on assure qu’il a plus de vingt lieues de circuit ; il absorbe pendant six heures tout ce qui est dans son voisinage, l’eau, les baleines, les vaisseaux, et rend ensuite pendant autant de temps tout ce qu’il a absorbé.

Il n’est pas nécessaire de supposer dans le fond de la mer des trous et des abîmes qui engloutissent continuellement les eaux, pour rendre raison de ces gouffres ; on sait que, quand l’eau a deux directions contraires, la composition de ces mouvements produit un tournoiement circulaire et semble former un vide dans le centre de ce mouvement, comme on peut l’observer dans plusieurs endroits auprès des piles qui soutiennent les arches des ponts, surtout dans les rivières rapides ; il en est de même des gouffres de la mer, ils sont produits par le mouvement de deux ou de plusieurs courants contraires ; et comme le flux et le reflux sont la principale cause des courants, en sorte que pendant le flux ils sont dirigés d’un côté et que pendant le reflux ils vont en sens contraire, il n’est pas étonnant que les gouffres qui résultent de ces courants attirent et engloutissent pendant quelques heures tout ce qui les environne, et qu’ils rejettent ensuite pendant tout autant de temps tout ce qu’ils ont absorbé.

Les gouffres ne sont donc que des tournoiements d’eau qui sont produits par des courants opposés, et les ouragans ne sont que des tourbillons ou tournoiements d’air produits par des vents contraires ; ces ouragans sont communs dans la mer de la Chine et du Japon, dans celle des îles Antilles et en plusieurs autres endroits de la mer, surtout auprès des terres avancées et des côtes élevées, mais ils sont encore plus fréquents sur la terre, et les effets en sont quelquefois prodigieux. « J’ai vu, dit Bellarmin, je ne le croirais pas si je ne l’eusse pas vu, une fosse énorme creusée par le vent, et toute la terre de cette fosse emportée sur un village, en sorte que l’endroit d’où la terre avait été enlevée paraissait un trou épouvantable, et que le village fut entièrement enterré par cette terre transportée. » (Bellarminus, De ascensu mentis in Deum.) On peut voir, dans l’Histoire de l’Académie des sciences et dans les Transactions philosophiques, le détail des effets de plusieurs ouragans qui paraissent inconcevables, et qu’on aurait de la peine à croire, si les faits n’étaient attestés par un grand nombre de témoins oculaires, véridiques et intelligents.

Il en est de même des trombes, que les navigateurs ne voient jamais sans crainte et sans admiration : ces trombes sont fort fréquentes auprès de certaines côtes de la Méditerranée, surtout lorsque le ciel est fort couvert et que le vent souffle en même temps de plusieurs côtés ; elles sont plus communes près les caps de Laodicée, de Grecgo et de Carmel que dans les autres parties de la Méditerranée. La plupart de ces trombes sont autant de cylindres d’eau qui tombent des nues, quoiqu’il semble quelquefois, surtout quand on est à quelque distance, que l’eau de la mer s’élève en haut. (Voyez les Voyages de Shaw, vol. II, p. 56.)

Mais il faut distinguer deux espèces de trombes : la première, qui est la trombe dont nous venons de parler, n’est autre chose qu’une nuée épaisse, comprimée, resserrée et réduite en un petit espace par des vents opposés et contraires, lesquels, soufflant en même temps de plusieurs côtés, donnent à la nuée la forme d’un tourbillon cylindrique, et font que l’eau tombe tout à la fois sous cette forme cylindrique ; la quantité d’eau est si grande et la chute en est si précipitée, que, si malheureusement une de ces trombes tombait sur un vaisseau, elle le briserait et le submergerait dans un instant. On prétend, et cela pourrait être fondé, qu’en tirant sur la trombe plusieurs coups de canons chargés à boulet ; on la rompt, et que cette commotion de l’air la fait cesser assez promptement ; cela revient à l’effet des cloches qu’on sonne pour écarter les nuages qui portent le tonnerre et la grêle.

L’autre espèce de trombe s’appelle typhon ; et plusieurs auteurs ont confondu le typhon avec l’ouragan, surtout en parlant des tempêtes de la mer de la Chine, qui est en effet