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comme dans toutes les autres, depuis le pied de la montagne jusqu’au sommet. La montagne conique, qui forme le sommet de l’Etna et contient son cratère, a plus de trois lieues de circonférence ; elle est extrêmement rapide, et couverte de neige et de glace en tout temps. Ce grand cratère a plus d’une lieue de circonférence en dedans, et il forme une excavation qui ressemble à un vaste amphithéâtre ; il en sort des nuages de fumée qui ne s’élèvent point en l’air, mais roulent vers le bas de la montagne : le cratère est si chaud, qu’il est très dangereux d’y descendre. La grande bouche du volcan est près du centre du cratère ; quelques-uns des rochers lancés par le volcan hors de son cratère sont d’une grandeur incroyable ; le plus gros qu’ait vomi le Vésuve est de forme ronde et a environ 12 pieds de diamètre ; ceux de l’Etna sont bien plus considérables et proportionnés à la différence qui se trouve entre les deux volcans. »

Comme toute la partie qui environne le sommet de l’Etna présente un terrain égal, sans collines ni vallées jusqu’à plus de deux lieues de distance en descendant, et qu’on y voit encore aujourd’hui les ruines de la tour du philosophe Empédocle, qui vivait quatre cents ans avant l’ère chrétienne, il y a toute apparence que, depuis ce temps, le grand cratère du sommet de l’Etna n’a fait que peu ou point d’éruptions ; la force du feu a donc diminué, puisqu’il n’agit plus avec violence au sommet, et que toutes les éruptions modernes se sont faites dans les régions plus basses de la montagne : cependant depuis quelques siècles, les dimensions de ce grand cratère du sommet de l’Etna ont souvent changé : on le voit par les mesures qu’en ont données les auteurs siciliens en différents temps ; quelquefois il s’est écroulé, ensuite il s’est reformé en s’élevant peu à peu jusqu’à ce qu’il s’écroulât de nouveau. Le premier de ces écroulements bien constatés est arrivé en 1157, un second en 1329, un troisième en 1444, et le dernier en 1669. Mais je ne crois pas qu’on doive en conclure, avec M. Brydone, que dans peu le cratère s’écroulera de nouveau ; l’opinion que cet effet doit arriver tous les cent ans ne me paraît pas assez fondée, et je serais au contraire très porté à présumer que, le feu n’agissant plus avec la même violence au sommet de ce volcan, ses forces ont diminué et continueront à s’affaiblir à mesure que la mer s’éloignera davantage ; il l’a déjà fait reculer de plusieurs milles par ses propres forces ; il en a construit les digues et les côtes par ses torrents de laves ; et d’ailleurs on sait, par la diminution de la rapidité du Carybde et du Scylla et par plusieurs autres indices, que la mer de Sicile a considérablement baissé depuis deux mille cinq cents ans ; ainsi l’on ne peut guère douter qu’elle ne continue à s’abaisser, et que par conséquent l’action des volcans voisins ne se ralentisse, en sorte que le cratère de l’Etna pourra rester très longtemps dans son état actuel, et que, s’il vient à retomber dans ce gouffre, ce sera peut-être pour la dernière fois. Je crois encore pouvoir présumer que, quoique l’Etna doive être regardé comme une des montagnes primitives du globe à cause de sa hauteur et de son immense volume, et que très anciennement il ait commencé d’agir dans le temps de la retraite générale des eaux, son action a néanmoins cessé après cette retraite, et qu’elle ne s’est renouvelée que dans des temps assez modernes, c’est-à-dire lorsque la mer Méditerranée, s’étant élevée par la rupture du Bosphore et de Gibraltar, a inondé les terres entre la Sicile et l’Italie, et s’est approchée de la base de l’Etna. Peut-être la première des éruptions nouvelles de ce fameux volcan est-elle encore postérieure à cette époque de la nature. « Il me paraît évident, dit M. Brydone, que l’Etna ne brûlait pas au siècle d’Homère ni même longtemps auparavant ; autrement il serait impossible que ce poète eût tant parlé de la Sicile sans faire mention d’un objet si remarquable. » Cette réflexion de M. Brydone est très juste ; ainsi ce n’est qu’après le siècle d’Homère qu’on doit dater les nouvelles éruptions de l’Etna ; mais on peut voir par les tableaux poétiques de Pindare, de Virgile, et par les descriptions des autres auteurs anciens et modernes, combien en dix-huit ou dix-neuf cents ans la face entière de cette montagne et des contrées adjacentes a subi de changements et d’altérations par les tremblements