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produites immédiatement par le feu, il ne serait pas nécessaire de recourir à l’autre cause, c’est-à-dire au séjour des eaux, pour concevoir comment elles ont pris leur consistance ; mais la plupart de ces pics ou pointes de montagnes paraissent être composés de matières qui, quoique vitrescibles, ont pris leur solidité et acquis leur nature par l’intermède de l’eau. On ne peut donc guère décider si le feu primitif seul a produit leur consistance actuelle, ou si l’intermède et le gluten de l’eau de la mer n’ont pas été nécessaires pour achever l’ouvrage du feu et donner à ces masses vitrescibles la nature qu’elles nous présentent aujourd’hui. Au reste, cela n’empêche pas que le feu primitif, qui d’abord a produit les plus grandes inégalités sur la surface du globe, n’ait eu la plus grande part à l’établissement des chaînes de montagnes qui en traversent la surface, et que les noyaux de ces grandes montagnes ne soient tous des produits de l’action du feu, tandis que les contours de ces mêmes montagnes n’ont été disposés et travaillés par les eaux que dans des temps subséquents ; en sorte que c’est sur ces mêmes contours, et à de certaines hauteurs, que l’on trouve des dépôts de coquilles et d’autres productions de la mer.

Si l’on veut se former une idée nette des plus anciennes cavernes, c’est-à-dire de celles qui ont été formées par le feu primitif, il faut se représenter le globe terrestre dépouillé de toutes ses eaux et de toutes les matières qui en recouvrent la surface jusqu’à la profondeur de 1 000 ou 1 200 pieds. En séparant par la pensée cette couche extérieure de terre et d’eau, le globe nous présentera la forme qu’il avait à peu près dans les premiers temps de sa consolidation. La roche vitrescible, ou, si l’on veut, le verre fondu, en compose la masse entière ; et cette matière, en se consolidant et se refroidissant, a formé, comme toutes les autres matières fondues, des éminences, des profondeurs, des cavités, des boursouflures dans toute l’étendue de la surface du globe. Ces cavités intérieures formées par le feu sont les cavernes primitives, et se trouvent en bien plus grand nombre vers les contrées du Midi que dans celles du Nord, parce que le mouvement de rotation qui a élevé ces parties de l’équateur avant la consolidation y a produit un plus grand déplacement de la matière, et, en retardant cette même consolidation, aura concouru avec l’action du feu pour produire un plus grand nombre de boursouflures et d’inégalités dans cette partie du globe que dans toute autre. Les eaux venant des pôles n’ont pu gagner ces contrées méridionales, encore brûlantes, que quand elles ont été refroidies ; les cavernes qui les soutenaient s’étant successivement écroulées, la surface s’est abaissée et rompue en mille et mille endroits. Les plus grandes inégalités du globe se trouvent par cette raison dans les climats méridionaux : les cavernes primitives y sont encore en plus grand nombre que partout ailleurs ; elles y sont aussi situées plus profondément, c’est-à-dire peut-être jusqu’à cinq et six lieues de profondeur, parce que la matière du globe a été remuée jusqu’à cette profondeur par le mouvement de rotation dans le temps de sa liquéfaction. Mais les cavernes qui se trouvent dans les hautes montagnes ne doivent pas toutes leur origine à cette même cause du feu primitif : celles qui gisent le plus profondément au-dessous de ces montagnes sont les seules qu’on puisse attribuer à l’action de ce premier feu ; les autres, plus extérieures et plus élevées dans la montagne, ont été formées par des causes secondaires, comme nous l’avons exposé. Le globe, dépouillé des eaux et des matières qu’elles ont transportées, offre donc à sa surface un sphéroïde bien plus irrégulier qu’il ne nous paraît l’être avec cette enveloppe. Les grandes chaînes de montagnes, leurs pics, leurs cornes ne nous présentent peut-être pas aujourd’hui la moitié de leur hauteur réelle ; toutes sont attachées par leur base à la roche vitrescible qui fait le fond du globe et sont de la même nature. Ainsi, l’on doit compter trois espèces de cavernes produites par la nature : les premières, en vertu de la puissance du feu primitif ; les secondes, par l’action des eaux ; et les troisièmes, par la force des feux souterrains ; et chacune de ces cavernes, différentes par leur origine, peuvent être distinguées et reconnues à l’inspection des matières qu’elles contiennent ou qui les environnent.