Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/354

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la Flandre jusqu’à la rivière d’Aa, entre les dunes et les terres élevées des environs de Bergues, etc. ? Il faut que, dans les siècles reculés, lorsque la Flandre n’était qu’une vaste forêt, une inondation subite de la mer ait submergé tout le pays, et en se retirant ait déposé tous les arbres, bois et roseaux qu’elle avait déracinés et détruit dans cet espace de terrain, qui est le plus bas de la Flandre, et que cet événement soit arrivé vers le mois d’août ou septembre, puisqu’on trouve encore les feuilles aux arbres, ainsi que les noisettes aux coudriers. Cette inondation doit avoir été bien longtemps avant la conquête que fit Jules César de cette province, puisque les écrits des Romains, depuis cette époque, n’en ont pas fait mention[1].

Quelquefois on trouve des végétaux dans le sein de la terre, qui sont dans un état différent de celui de la tourbe ordinaire : par exemple au mont Ganelon, près de Compiègne, on voit d’un côté de la montagne les carrières de belles pierres et les huîtres fossiles dont nous avons parlé, et de l’autre côté de la montagne on trouve à mi-côte un lit de feuilles de toutes sortes d’arbres, et aussi des roseaux, des goémons, le tout mêlé ensemble et renfermé dans la vase ; lorsqu’on remue ces feuilles, on retrouve la même odeur de marécage qu’on respire sur le bord de la mer, et ces feuilles conservent cette odeur pendant plusieurs années. Au reste, elles ne sont point détruites ; on peut en reconnaître aisément les espèces : elles n’ont que de la sécheresse et sont liées faiblement les unes aux autres par la vase[2].

« On reconnaît, dit M. Guettard, deux espèces de tourbes : les unes sont composées de plantes marines, les autres de plantes terrestres ou qui viennent dans les prairies. On suppose que les premières ont été formées dans le temps que la mer recouvrait la partie de la terre qui est maintenant habitée ; on veut que les secondes se soient accumulées sur celles-ci. On imagine, suivant ce système, que les courants portaient dans des bas-fonds, formés par les montagnes qui étaient élevées dans la mer, les plantes marines qui se détachaient des rochers, et qui, ayant été ballottées par les flots, se déposaient dans des lieux profonds.

» Cette production de tourbes n’est certainement pas impossible ; la grande quantité de plantes qui croissent dans la mer paraît bien suffisante pour former ainsi des tourbes : les Hollandais même prétendent que la bonté des leurs ne vient que de ce qu’elles sont ainsi produites, et qu’elles sont pénétrées du bitume dont les eaux de la mer sont chargées…

» Les tourbières de Villeroy sont placées dans la vallée où coule la rivière d’Essonne ; la partie de cette vallée peut s’étendre depuis Roissy jusqu’à Escharcon… C’est même vers Roissy qu’on a commencé à tirer des tourbes ; mais celles que l’on fouille auprès d’Escharcon sont les meilleures…

» Les prairies où les tourbières sont ouvertes sont assez mauvaises ; elles sont remplies de joncs, de roseaux, des prêles et autres plantes qui croissent dans les mauvais prés ; on fouille ces prés jusqu’à la profondeur de 8 à 10 pieds… Après la couche qui forme actuellement le sol de la prairie est placé un lit de tourbe d’environ un pied ; il est rempli de plusieurs espèces de coquilles fluviatiles et terrestres.

» Ce banc de tourbe qui renferme les coquilles est communément terreux ; ceux qui le suivent sont à peu près de la même épaisseur, et d’autant meilleurs qu’ils sont plus

  1. Mémoire pour la subdélégation de Dunkerque, relativement à l’histoire naturelle de ce canton.
  2. Lettre de M. Leschevin à M. de Buffon : Compiègne, 8 août 1772. C’est la seconde fois, et ce ne sera pas la dernière, que j’aurai occasion de citer M. Leschevin, chef des bureaux de la Maison du Roi, qui, par son goût pour l’histoire naturelle et par amitié pour moi, m’a facilité des correspondances et procuré des observations et des morceaux rares pour l’augmentation du Cabinet du Roi.