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bas dans les bancs calcaires. Toutes les eaux pluviales qui tombent sur cette plate-forme et sur les terrasses adjacentes se rassemblent donc sur le massif d’argile ou glaise auquel aboutissent les fentes perpendiculaires de ces rochers ; elles forment de petites sources en différents endroits, qui sont encore clairement indiquées par plusieurs puits, tous abondants et creusés au-dessous de la couronne des rochers : et dans tous les endroits où l’on tranche ce massif d’argile par des fossés, on voit l’eau suinter et venir d’en haut : il n’est donc pas étonnant que des murs, quelque solides qu’ils soient, glissent sur le premier banc de cette argile humide, s’ils ne sont pas fondés à plusieurs pieds au-dessous, comme je l’ai fait faire en les reconstruisant. Néanmoins la même chose est encore arrivée du côté du nord-ouest de ce tertre, où la pente est plus douce et sans sources apparentes : on avait tiré de l’argile à 12 ou 15 pieds de distance d’un gros mur épais de 11 pieds sur 35 de hauteur et 12 toises de longueur ; ce mur est construit de très bons matériaux, et il subsiste depuis plus de neuf cents ans ; cette tranchée où l’on tirait de l’argile, et qui ne descendait pas à plus de 4 à 5 pieds, a néanmoins fait faire un mouvement à cet énorme mur ; il penche d’environ 15 pouces sur sa hauteur perpendiculaire, et je n’ai pu le retenir et prévenir sa chute que par des piliers buttants de 7 à 8 pieds de saillie sur autant d’épaisseur, fondés à 14 pieds de profondeur.

De ces faits particuliers, j’ai tiré une conséquence générale dont aujourd’hui on ne fera pas autant de cas que l’on en aurait fait dans les siècles passés : c’est qu’il n’y a pas un château ou forteresse située sur des hauteurs, qu’on ne puisse aisément faire couler dans la plaine ou vallée, au moyen d’une simple tranchée de 10 ou 12 pieds de profondeur sur quelques toises de largeur, en pratiquant cette tranchée à une petite distance des derniers murs, et choisissant pour l’établir le côté où la pente est la plus rapide. Cette manière, dont les anciens ne se sont pas doutés, leur aurait épargné bien des béliers et d’autres machines de guerre, et aujourd’hui même on pourrait s’en servir avantageusement dans plusieurs cas ; je me suis convaincu par mes yeux, lorsque ces murs ont glissé, que si la tranchée qu’on a faite pour les reconstruire n’eût pas été promptement remplie de forte maçonnerie, les murs anciens et les deux tours qui subsistent encore en bon état depuis neuf cents ans, et dont l’une a 125 pieds de hauteur, auraient coulé dans le vallon avec les rochers sur lesquels ces tours et ces murs sont fondés ; et comme toutes nos collines composées de pierres calcaires portent généralement sur un fond d’argile, dont les premiers lits sont toujours plus ou moins humectés par les eaux qui filtrent dans les fentes des rochers et descendent jusqu’à ce premier lit d’argile, il me paraît certain qu’en éventant cette argile, c’est-à-dire en exposant à l’air par une tranchée ces premiers lits imbibés des eaux, la masse entière des rochers et du terrain qui porte sur ce massif d’argile coulerait en glissant sur le premier lit et descendrait jusque dans la tranchée en peu de jours, surtout dans un temps de pluie. Cette manière de démanteler une forteresse est bien plus simple que tout ce qu’on a pratiqué jusqu’ici, et l’expérience m’a démontré que le succès en est certain.


II. — Sur la tourbe.

On peut ajouter à ce que j’ai dit sur les tourbes les faits suivants :

Dans les châtellenies et subdélégations de Bergues-Saint-Winock, Furnes et Boubourg, on trouve de la tourbe à trois ou quatre pieds sous terre ; ordinairement ces lits de tourbes ont deux pieds d’épaisseur et sont composés de bois pourris, d’arbres même entiers, avec leurs branches et leurs feuilles dont on connaît l’espèce et particulièrement de coudriers, qu’on reconnaît à leurs noisettes encore existantes, entremêlés de différentes espèces de roseaux faisant corps ensemble.

D’où viennent ces lits de tourbes qui s’étendent depuis Bruges par tout le plat pays de