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que la terre même n’avait été créée que pour lui servir de domicile et le ciel de spectacle ; qu’enfin l’univers entier devait se rapporter à ses besoins et même à ses plaisirs. Mais à mesure qu’il a fait usage de cette lumière divine qui seule ennoblit son être, à mesure que l’homme s’est instruit, il a été forcé de rabattre de plus en plus de ces prétentions ; il s’est vu rapetisser en même raison que l’univers s’agrandissait, et il lui est aujourd’hui bien évidemment démontré que cette terre qui fait tout son domaine, et sur laquelle il ne peut malheureusement subsister sans querelle et sans trouble, est à proportion tout aussi petite pour l’univers que lui-même l’est pour le Créateur. En effet, il n’est plus possible de douter que cette même terre, si grande et si vaste pour nous, ne soit une assez médiocre planète, une petite masse de matière qui circule avec les autres autour du soleil ; que cet astre de lumière et de feu ne soit plus de douze cent mille fois plus gros que le globe de la terre, et que sa puissance ne s’étende à tous les corps qu’il fléchit autour de lui ; en sorte que notre globe en étant éloigné de trente-trois millions de lieues au moins, la planète de Saturne se trouve à plus de trois cent treize millions des mêmes lieues ; d’où l’on ne peut s’empêcher de conclure que l’étendue de l’empire du soleil, ce roi de la nature, ne soit une sphère dont le diamètre est de six cent vingt-sept millions de lieues, tandis que celui de la terre n’est que de deux mille huit cent soixante-cinq ; et si l’on prend le cube de ces deux nombres, on se démontrera que la terre est plus petite, relativement à cet espace, qu’un grain de sable ne l’est relativement au volume entier du globe.

Néanmoins la planète de Saturne, quoique la plus éloignée du soleil, n’est pas encore à beaucoup près sur les confins de son empire. Les limites en sont beaucoup plus reculées, puisque les comètes parcourent, au delà de cette distance, des espaces encore plus grands que l’on peut estimer par la période du temps de leurs révolutions. Une comète qui, comme celle de l’année 1680, circule autour du soleil en 575 ans, s’éloigne de cet astre 15 fois plus que Saturne n’en est distant ; car le grand axe de son orbite est 138 fois plus grand que la distance de la terre au soleil. Dès lors, on doit augmenter encore l’étendue de la puissance solaire de 15 fois la distance du soleil à Saturne, en sorte que tout l’espace dans lequel sont comprises les planètes n’est qu’une petite province du domaine de cet astre, dont les bornes doivent être posées au moins à 138 fois la distance du soleil à la terre, c’est-à-dire à 138 fois 33 ou 34 millions de lieues.

Quelle immensité d’espace ! et quelle quantité de matière ! car, indépendamment des planètes, il existe probablement quatre ou cinq cents comètes, peut-être plus grosses que la terre, qui parcourent en tous sens les différentes régions de cette vaste sphère dont le globe terrestre ne fait qu’un point, une unité sur 191 201 612 985 514 260 000, quantité que ces nombres représentent, mais que l’imagination ne peut atteindre ni saisir. N’en voila-t-il pas assez pour nous rendre, nous, les nôtres, et notre grand domicile, plus petits que des atomes ?

Cependant cette énorme étendue, cette sphère si vaste n’est encore qu’un très petit espace dans l’immensité des deux : chaque étoile fixe est un soleil, un centre d’une sphère tout aussi vaste ; et comme on en compte plus de deux mille qu’on aperçoit à la vue simple, et qu’avec les lunettes on en découvre un nombre d’autant plus grand que ces instruments sont plus puissants, l’étendue de l’univers entier paraît être sans bornes, et le système solaire ne fait plus qu’une province de l’empire universel du Créateur, empire infini comme lui.

Sirius, étoile fixe la plus brillante, et que par cette raison nous pouvons regarder comme le soleil le plus voisin du nôtre, ne donnant à nos yeux qu’une seconde de parallaxe annuelle sur le diamètre entier de l’orbe de la terre, est à 6 771 770 millions de lieues de distance de nous, c’est-à-dire à 6 767 216 millions des limites du système solaire, telles que nous les avons assignées d’après la profondeur à laquelle s’enfoncent les