Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/60

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Au reste, il ne faut pas croire que ces transports de matières ne puissent pas se faire à des distances considérables, puisque nous voyons tous les jours des graines et d’autres productions des Indes orientales et occidentales arriver sur nos côtes[1] ; à la vérité, elles sont spécifiquement plus légères que l’eau, au lieu que les matières dont nous parlons sont plus pesantes ; mais, comme elles sont réduites en poudre impalpable, elles se soutiendront assez longtemps dans l’eau pour être transportées à de grandes distances.

Ceux qui prétendent que la mer n’est pas remuée à de grandes profondeurs ne font pas attention que le flux et le reflux ébranlent et agitent à la fois toute la masse des mers, et que dans un globe qui serait entièrement liquide il y aurait de l’agitation et du mouvement jusqu’au centre ; que la force qui produit celui du flux et du reflux est une force pénétrante, qui agit sur toutes les parties proportionnellement à leurs masses ; qu’on pourrait même mesurer et déterminer par le calcul la quantité de cette action sur un liquide à différentes profondeurs, et qu’enfin ce point ne peut être contesté qu’en se refusant à l’évidence du raisonnement et à la certitude des observations.

Je puis donc supposer légitimement que le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent agiter la mer, doivent produire par le mouvement des eaux, des éminences et des inégalités dans le fond de la mer, qui seront toujours composées de couches horizontales ou également inclinées ; ces éminences pourront, avec le temps, augmenter considérablement, et devenir des collines qui dans une longue étendue de terrain se trouveront, comme les ondes qui les auront produites, dirigées du même sens, et formeront peu à peu une chaîne de montagnes. Ces hauteurs une fois formées feront obstacle à l’uniformité du mouvement des eaux, et il en résultera des mouvements particuliers dans le mouvement général de la mer. Entre deux hauteurs voisines, il se formera nécessairement un courant[2] qui suivra leur direction commune, et coulera comme coulent les fleuves de la terre, en formant un canal dont les angles seront alternativement opposés dans tout l’étendue de son cours : ces hauteurs formées au-dessus de la surface du fond pourront augmenter encore de plus en plus ; car les eaux qui n’auront que le mouvement du flux déposeront sur la cime le sédiment ordinaire, et celles qui obéiront au courant entraîneront au loin les parties qui se seraient déposées entre deux, et en même temps elles creuseront un vallon au pied de ces montagnes, dont tous les angles se trouveront correspondants, et, par l’effet de ces deux mouvements et de ces dépôts, le fond de la mer aura bientôt été sillonné, traversé de collines et de chaînes de montagnes, et semé d’inégalités telles que nous les y trouvons aujourd’hui. Peu à peu les matières molles dont les éminences étaient d’abord composées se

  1. Particulièrement sur les côtes d’Écosse et d’Irlande. Voyez Ray’s Discourses.
  2. Voyez les Preuves, art. xiii.