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continent de l’Asie était autrefois contigu avec celui de la Nouvelle-Hollande, lequel s’aiguise et aboutit en pointe vers le midi, comme tous les autres grands continents.

Ces bouleversements si multipliés et si évidents dans les mers méridionales, l’envahissement tout aussi évident des anciennes terres orientales par les eaux de ce même Océan, nous indiquent assez les prodigieux changements qui sont arrivés dans cette vaste partie du monde, surtout dans les contrées voisines de l’équateur : cependant ni l’une ni l’autre de ces grandes causes n’a pu produire la séparation de l’Asie et de l’Amérique vers le nord ; il semblerait au contraire que si ces continents eussent été séparés au lieu d’être continus, les affaissements vers le midi et l’irruption des eaux dans les terres de l’orient, auraient dû attirer celles du nord, et par conséquent découvrir la terre de cette région entre l’Asie et l’Amérique : cette considération confirme les raisons que j’ai données ci-devant pour la contiguïté réelle des deux continents vers le nord en Asie.

Après la séparation de l’Europe et de l’Amérique, après la rupture des détroits, les eaux ont cessé d’envahir de grands espaces, et dans la suite la terre a plus gagné sur la mer qu’elle n’a perdu, car indépendamment des terrains de l’intérieur de l’Asie nouvellement abandonnés par les eaux, tels que ceux qui environnent la Caspienne et l’Aral, indépendamment de toutes les côtes en pente douce que cette dernière retraite des eaux laissait à découvert, les grands fleuves ont presque tous formé des îles et de nouvelles contrées près de leurs embouchures. On sait que le Delta de l’Égypte, dont l’étendue ne laisse pas d’être considérable, n’est qu’un atterrissement produit par les dépôts du Nil : il en est de même de la grande Isle à l’entrée du fleuve Amour, dans la mer orientale de la Tartarie chinoise. En Amérique, la partie méridionale de la Louisiane près du fleuve Mississipi, et la partie orientale située à l’embouchure de la rivière des Amazones, sont des terres nouvellement formées par le dépôt de grands fleuves. Mais nous ne pouvons choisir un exemple plus grand d’une contrée récente que celui des vastes terres de la Guyane : leur aspect nous rappellera l’idée de la nature brute, et nous présentera le tableau nuancé de la formation successive d’une terre nouvelle[NdÉ 1].

Dans une étendue de plus de cent vingt lieues, depuis l’embouchure de la rivière de Cayenne jusqu’à celle des Amazones, la mer, de niveau avec la terre, n’a d’autre fond que de la vase, et d’autres côtes qu’une couronne de bois aquatiques, de mangles ou palétuviers, dont les racines, les tiges et les branches courbées trempent également dans l’eau salée, et ne présentent que des halliers aqueux qu’on ne peut pénétrer qu’en canot et la hache à la main. Ce fond de vase s’étend en pente douce à plusieurs lieues sous les

  1. On va voir que Buffon avait très bien compris l’importance énorme du rôle joué par les fleuves dans la formation des terres.