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eaux de la mer. Du côté de la terre, au delà de cette large lisière de palétuviers dont les branches, plus inclinées vers l’eau qu’élevées vers le ciel, forment un fort qui sert de repaire à des animaux immondes, s’étendent encore des savanes noyées, plantées de palmiers lataniers et jonchées de leurs débris : ces lataniers sont de grands arbres dont à la vérité le pied est encore dans l’eau, mais dont la tête et les branches élevées et garnies de fruits, invitent les oiseaux à s’y percher. Au delà des palétuviers et des lataniers l’on ne trouve encore que des bois mous, des comons, des pineaux qui ne croissent pas dans l’eau, mais dans les terrains bourbeux auxquels aboutissent les savanes noyées : ensuite commencent des forêts d’une autre essence ; les terres s’élèvent en pente douce et marquent, pour ainsi dire, leur élévation par la solidité et la dureté des bois qu’elles produisent ; enfin, après quelques lieues de chemin en ligne directe depuis la mer, on trouve des collines dont les coteaux, quoique rapides, et même les sommets, sont également garnis d’une grande épaisseur de bonne terre, plantée partout d’arbres de tous âges, si pressés, si serrés les uns contre les autres, que leurs cimes entrelacées laissent à peine passer la lumière du soleil, et sous leur ombre épaisse entretiennent une humidité si froide que le voyageur est obligé d’allumer du feu pour y passer la nuit, tandis qu’à quelque distance de ces sombres forêts, dans les lieux défrichés, la chaleur, excessive pendant le jour, est encore trop grande pendant la nuit. Cette vaste terre des côtes et de l’intérieur de la Guyane n’est donc qu’une forêt tout aussi vaste, dans laquelle des sauvages en petit nombre ont fait quelques clairières et de petits abatis pour pouvoir s’y domicilier sans perdre la jouissance de la chaleur de la terre et de la lumière du jour.

La grande épaisseur de terre végétale qui se trouve jusque sur le sommet des collines démontre la formation récente de toute la contrée ; elle l’est en effet au point qu’au-dessus de l’une de ces collines, nommée la Gabrielle, on voit un petit lac peuplé de crocodiles caïmans que la mer y a laissés, à cinq ou six lieues de distance, et à six ou sept cent pieds de hauteur au-dessus de son niveau. Nulle part on ne trouve de la pierre calcaire, car on transporte de France la chaux nécessaire pour bâtir à Cayenne : ce qu’on appelle pierre à ravets n’est point une pierre, mais une lave de volcan, trouée comme les scories des forges : cette lave se présente en blocs épars ou en monceaux irréguliers dans quelques montagnes où l’on voit les bouches des anciens volcans qui sont actuellement éteints, parce que la mer s’est retirée et éloignée du pied de ces montagnes. Tout concourt donc à prouver qu’il n’y a pas longtemps que les eaux ont abandonné ces collines, et encore moins de temps qu’elles ont laissé paraître les plaines et les terres basses, car celles-ci ont été presque entièrement formées par le dépôt des eaux courantes. Les fleuves, les rivières, les ruisseaux sont si voisins les uns des autres et en même temps si larges, si gonflés, si rapides dans la saison des