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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/136

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pointes avancées du globe que partout ailleurs : si l’on continue donc d’observer les progrès de ces glacières permanentes des Alpes, on saura dans quelques siècles combien il faut d’années pour que le froid glacial s’empare d’une terre actuellement habitée, et de là on pourra conclure si j’ai compté trop ou trop peu de temps pour le refroidissement du globe.

Maintenant, si nous transportons cette idée sur la région du pôle, nous nous persuaderons aisément que non seulement elle est entièrement glacée, mais même que le circuit et l’étendue de ces glaces augmente de siècle en siècle, et continuera d’augmenter avec le refroidissement du globe. Les terres du Spitzberg, quoique à 10 degrés du pôle, sont presque entièrement glacées, même en été ; et par les nouvelles tentatives que l’on a faites pour approcher du pôle de plus près, il paraît qu’on n’a trouvé que des glaces, que je regarde comme les appendices de la grande glacière qui couvre cette région tout entière, depuis le pôle jusqu’à 7 ou 8 degrés de distance. Les glaces immenses reconnues par le capitaine Phipps à 80 et 81 degrés, et qui partout l’ont empêché d’avancer plus loin, semblent prouver la vérité de ce fait important : car l’on ne doit pas présumer qu’il y ait sous le pôle des sources et des fleuves d’eau douce qui puissent produire et amener ces glaces, puisqu’en toutes saisons ces fleuves seraient glacés. Il paraît donc que les glaces qui ont empêché ce navigateur intrépide de pénétrer au delà du 82e degré, sur une longueur de plus de 24 degrés de longitude, il paraît, dis-je, que ces glaces continues forment une partie de la circonférence de l’immense glacière de notre pôle, produite par le refroidissement successif du globe. Et si l’on veut supputer la surface de cette zone glacée depuis le pôle jusqu’au 82e degré de latitude, on verra qu’elle est de plus de cent trente mille lieues carrées, et que par conséquent voilà déjà la deux centième partie du globe envahie par le refroidissement, et anéantie pour la nature vivante. Et comme le froid est plus grand dans les régions du pôle austral, l’on doit présumer que l’envahissement des glaces y est aussi plus grand, puisqu’on en rencontre dans quelques-unes de ces plages australes dès le 47e degré : mais, pour ne considérer ici que notre hémisphère boréal, dont nous présumons que la glace a déjà envahi la centième partie, c’est-à-dire toute la surface de la portion de sphère qui s’étend depuis le pôle jusqu’à 8 degrés ou deux cents lieues de distance, l’on sent bien que s’il était possible de déterminer le temps où ces glaces ont commencé de s’établir sur le point du pôle, et ensuite le temps de la progression successive de leur envahissement jusqu’à deux cents lieues, on pourrait en déduire celui de leur progression à venir, et connaître d’avance quelle sera la durée de la nature vivante dans tous les climats jusqu’à celui de l’équateur. Par exemple, si nous supposons qu’il y ait mille ans que la glace permanente a commencé de s’établir sous le point même du pôle, et que dans la succession de ce millier d’années les glaces se soient étendues autour de ce point jusqu’à deux cents lieues, ce qui fait la