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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/137

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centième partie de la surface de l’hémisphère depuis le pôle à l’équateur, on peut présumer qu’il s’écoulera encore quatre-vingt-dix-neuf mille ans avant qu’elles ne puissent l’envahir dans toute cette étendue, en supposant uniforme la progression du froid glacial, comme l’est celle du refroidissement du globe ; et ceci s’accorde assez avec la durée de quatre-vingt-treize mille ans que nous avons donnée à la nature vivante, à dater de ce jour, et que nous avons déduite de la seule loi du refroidissement. Quoi qu’il en soit, il est certain que les glaces se présentent de tous côtés à 8 degrés du pôle comme des barrières et des obstacles insurmontables ; car le capitaine Phipps a parcouru plus de la quinzième partie de cette circonférence vers le nord-est ; et, avant lui, Baffin et Smith en avaient reconnu tout autant vers le nord-ouest, et partout ils n’ont trouvé que glace : je suis donc persuadé que, si quelques navigateurs aussi courageux entreprennent de reconnaître le reste de la circonférence, ils la trouveront de même bornée partout par des glaces qu’ils ne pourront pénétrer ni franchir ; et que par conséquent cette région du pôle est entièrement et à jamais perdue pour nous. La brume continuelle qui couvre ces climats, et qui n’est que de la neige glacée dans l’air, s’arrêtant, ainsi que toutes les vapeurs, contre les parois de ces côtes de glace, elle y forme de nouvelles couches et d’autres glaces, qui augmentent incessamment et s’étendront de plus en plus, à mesure que le globe se refroidira davantage.

Au reste, la surface de l’hémisphère boréal présentant beaucoup plus de terre que celle de l’hémisphère austral, cette différence suffit, indépendamment des autres causes ci-devant indiquées, pour que ce dernier hémisphère soit plus froid que le premier : aussi trouve-t-on des glaces dès le 47e ou 50e degré dans les mers australes, au lieu qu’on n’en rencontre qu’à 20 degrés plus loin dans l’hémisphère boréal. On voit d’ailleurs que sous notre cercle polaire il y a moitié plus de terre que d’eau, tandis que tout est mer sous le cercle antarctique ; l’on voit qu’entre notre cercle polaire et le tropique du Cancer il y a plus de deux tiers de terre sur un tiers de mer, au lieu qu’entre le cercle polaire antarctique et le tropique du Capricorne, il y a peut-être quinze fois plus de mer que de terre : cet hémisphère austral a donc été de tout temps, comme il l’est encore aujourd’hui, beaucoup plus aqueux et plus froid que le nôtre, et il n’y a pas d’apparence que passé le 50e degré l’on y trouve jamais des terres heureuses et tempérées. Il est donc presque certain que les glaces ont envahi une plus grande étendue sous le pôle antarctique, et que leur circonférence s’étend peut-être beaucoup plus loin que celle des glaces du pôle arctique. Ces immenses glacières des deux pôles, produites par le refroidissement, iront comme la glacière des Alpes, toujours en augmentant. La postérité ne tardera pas à le savoir, et nous nous croyons fondés à le présumer d’après notre théorie et d’après les faits que nous venons d’exposer, auxquels nous devons ajouter celui des glaces permanentes qui se sont formées depuis quelques siècles contre la côte orientale du Groën-