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land ; on peut encore y joindre l’augmentation des glaces près de la Nouvelle-Zemble dans le détroit de Weighats, dont le passage est devenu plus difficile et presque impraticable ; et enfin l’impossibilité où l’on est de parcourir la mer Glaciale au nord de l’Asie ; car, malgré ce qu’en ont dit les Russes[1], il est très douteux que les côtes de cette mer les plus avancées vers le nord aient été reconnues et qu’ils aient fait le tour de la pointe septentrionale de l’Asie.

Nous voilà, comme je me le suis proposé, descendus du sommet de l’échelle du temps jusqu’à des siècles assez voisins du nôtre ; nous avons passé du chaos à la lumière, de l’incandescence du globe à son premier refroidissement, et cette période de temps a été de vingt-cinq mille ans[NdÉ 1]. Le second degré de refroidissement a permis la chute des eaux et a produit la dépuration de l’atmosphère depuis vingt-cinq à trente-cinq mille ans. Dans la troisième époque s’est fait l’établissement de la mer universelle, la production des premiers coquillages et des premiers végétaux, la construction de la surface de la terre par lits horizontaux, ouvrages de quinze ou vingt autres milliers d’années. Sur la fin de la troisième époque et au commencement de la quatrième s’est faite la retraite des eaux, les courants de la mer ont creusé nos vallons, et les feux souterrains ont commencé de ravager la terre par leurs explosions. Tous ces derniers mouvements ont duré dix mille ans de plus, et en somme totale ces grands événements, ces opérations et ces constructions supposent au moins une succession de soixante mille années. Après quoi, la nature, dans son premier moment de repos, a donné ses productions les plus nobles ; la cinquième époque nous présente la naissance des animaux terrestres. Il est vrai que ce repos n’était pas absolu, la terre n’était pas encore tout à fait tranquille, puisque ce n’est qu’après la naissance des premiers animaux terrestres que s’est faite la séparation des continents et que sont arrivés les grands changements que je viens d’exposer dans cette sixième époque.

Au reste, j’ai fait ce que j’ai pu pour proportionner dans chacune de ces périodes la durée du temps à la grandeur des ouvrages ; j’ai tâché, d’après mes hypothèses, de tracer le tableau successif des grandes révolutions de la nature, sans néanmoins avoir prétendu la saisir à son origine et encore moins l’avoir embrassée dans toute son étendue. Et mes hypothèses fussent-elles contestées, et mon tableau ne fût-il qu’une esquisse très imparfaite de celui de la nature, je suis convaincu que tous ceux qui de bonne foi voudront examiner cette esquisse et la comparer avec le modèle, trouveront assez de ressemblance pour pouvoir au moins satisfaire leurs yeux et fixer leurs idées sur les plus grands objets de la philosophie naturelle.


  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. Tous ces chiffres sont purement hypothétiques, mais certainement fort au-dessous de la vérité.