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sième, où la mer couvrant la terre actuellement habitée, a nourri les animaux à coquilles dont les dépouilles ont formé les substances calcaires ; et la quatrième, où s’est faite la retraite de ces mêmes mers qui couvraient nos continents. Une cinquième époque, tout aussi clairement indiquée que les quatre premières, est celle du temps où les éléphants, les hippopotames et les autres animaux du Midi ont habité les terres du Nord. Cette époque est évidemment postérieure à la quatrième, puisque les dépouilles de ces animaux terrestres se trouvent presque à la surface de la terre, au lieu que celles des animaux marins sont pour la plupart et dans les mêmes lieux enfouies à de grandes profondeurs.

Quoi ! dira-t-on, les éléphants et les autres animaux du Midi ont autrefois habité les terres du Nord ? Ce fait, quelque singulier, quelque extraordinaire qu’il puisse paraître, n’en est pas moins certain. On a trouvé et on trouve encore tous les jours en Sibérie, en Russie, et dans les autres contrées septentrionales de l’Europe et de l’Asie, de l’ivoire en grande quantité ; ces défenses d’éléphant se tirent à quelques pieds sous terre, ou se découvrent par les eaux lorsqu’elles font tomber les terres du bord des fleuves. On trouve ces ossements et défenses d’éléphants en tant de lieux différents et en si grand nombre qu’on ne peut plus se borner à dire que ce sont les dépouilles de quelques éléphants amenés par les hommes dans ces climats froids : on est maintenant forcé, par les preuves réitérées, de convenir que ces animaux étaient autrefois habitants naturels des contrées du Nord, comme ils le sont aujourd’hui des contrées du Midi[NdÉ 1] ; et ce qui paraît encore rendre le fait plus merveilleux, c’est-à-dire plus difficile à expliquer, c’est qu’on trouve ces dépouilles des animaux du midi de notre continent, non seulement dans les provinces de notre nord, mais aussi dans les terres du Canada et des autres parties de l’Amérique septentrionale. Nous avons au Cabinet du Roi plusieurs défenses et un grand nombre d’ossements d’éléphant trouvés en Sibérie : nous avons d’autres défenses et d’autres os d’éléphant qui ont été trouvés en France, et enfin nous avons des défenses d’éléphant et des dents d’hippopotame trouvées en Amérique dans les terres voisines de la rivière d’Ohio. Il est donc nécessaire que ces animaux, qui ne peuvent subsister et ne subsistent en effet aujourd’hui que dans les pays chauds, aient autrefois existé dans les climats du Nord, et que, par conséquent, cette

    grande partie vient des animaux ; une partie plus considérable, peut-être, résulte de débris de la surface primitive du globe, détachés, entraînés puis déposés et accumulés par les eaux, si bien qu’il est permis de se demander s’il existe, à la surface de notre globe, la moindre roche datant de la période du refroidissement et de la consolidation de cette surface. (Voyez sur ce sujet mon Introduction.)

  1. Buffon ne distingue pas suffisamment l’éléphant dont on trouve dans le Nord les restes fossiles d’avec ceux qui vivent à notre époque. Ces derniers sont considérés comme formant deux espèces distinctes : l’éléphant d’Afrique et l’éléphant des Indes. Quant aux éléphants des époques anciennes, ils forment probablement aussi plusieurs espèces distinctes, parmi lesquelles je me borne à signaler l’Elephas primigenius et l’Elephas americanus [aujourd’hui, mammouth laineux Mammuthus primigenius et mastodonte d’Amérique Mammut americanum (N.d.W.)].