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matières qui composent le granit, et particulièrement la grande fusibilité du feldspath et du schorl, me semblent suffire pour expliquer d’une manière satisfaisante la formation du granit.

En effet, le feu qui tenait le globe de la terre en liquéfaction a nécessairement eu des degrés différents de force et d’action : le quartz ne pouvait se fondre que par le feu le plus violent, et n’a pu demeurer en fusion qu’autant de temps qu’a duré cette extrême chaleur ; dès qu’elle a diminué, le quartz s’est d’abord consolidé, et sa surface, frappée du refroidissement, s’est fendue, écaillée, égrenée, comme il arrive à toute espèce de verre exposé à l’action de l’air ; toute la superficie du globe devait donc être couverte de ces premiers débris de la décrépitation du quartz immédiatement après sa consolidation ; et les groupes élancés des montagnes isolées, les sommets des grandes boursouflures du globe, qui dès lors s’étaient faites dans la masse quartzeuse, ont été les premiers lieux couverts de ces débris du quartz, parce que ces éminences, qui présentaient toutes leurs faces au refroidissement, en ont été plus complètement et plus vivement frappées que toutes les autres portions de la terre.

Je dis refroidissement, par rapport à la prodigieuse chaleur qui avait jusqu’alors tenu le quartz en fusion ; car, dans le moment de sa consolidation, le feu était encore assez violent pour dissiper les micas, dont l’exfoliation ne fut que le second détriment du quartz déjà brisé en écailles et en grains par le premier degré du refroidissement. Le feldspath et le schorl, bien plus fusibles que le mica, étaient encore en pleine fonte au point de feu où le quartz déjà consolidé s’égrenait faute de recuit et formait les micas par ses exfoliations[NdÉ 1].

Le feldspath et le schorl doivent donc être considérés comme les dernières fontes des matières vitreuses : ces deux derniers verres, en se refroidissant, durent s’amalgamer avec les détriments des premiers. Le feu qui avait tenu le quartz en fusion était bien plus violent que celui qui tenait dans ce même état le feldspath et le schorl, et ce n’est qu’après la consolidation du quartz et même après sa réduction en débris que les micas se sont formés de ses exfoliations, et ce n’est encore qu’après ce temps que le feldspath et le schorl, auxquels il ne faut qu’un feu médiocre pour rester en fusion, ont pu se réunir avec les détriments de ces premiers verres : ainsi le feldspath et le schorl ont rempli, comme des ciments additionnels, les interstices que laissaient entre eux les grains de quartz ou de jaspe et les particules de mica ; ils ont lié ensemble ces débris, qui de nouveau prirent corps et formèrent les granits et les porphyres, car c’est, en effet, sous la forme d’un ciment introduit et agglutiné dans les porphyres et les granits qu’ils s’y présentent.

En effet, les quartz en grains décrépités ou exfoliés en micas devaient couvrir généralement la surface du globe, à l’exception des fentes perpendiculaires qui venaient de s’ouvrir par la retraite que fit sur elle-même toute la matière liquéfiée en se consolidant ; le feu de l’intérieur exhalait par ces fentes, comme par autant de soupiraux, les vapeurs métalliques, qui, s’étant incorporées avec la substance du quartz, l’ont modifiée, colorée et convertie en jaspe, lequel ne diffère en effet du quartz que par ces impressions de vapeurs métalliques, et qui, s’étant consolidé et recuit dans ces fentes du quartz, et à l’abri de l’action des éléments humides, est demeuré solide, et n’a fourni à l’extérieur qu’une petite quantité de détriments que le feldspath et le schorl aient pu saisir. Les jaspes ne présentant que leur sommet, et étant du reste contenus dans les fentes perpendiculaires de la grande masse quartzeuse, ne purent recevoir le feldspath et le schorl que dans cette partie supérieure, sur laquelle seule se fit une décrépitation semblable à celle du quartz, parce que cette partie de leur masse était en effet la seule qui pût être réduite en débris par le refroidissement.

  1. Nous avons déjà dit que le mica et le quartz ayant une composition différente, doivent avoir aussi une origine indépendante.