Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/307

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L’argent, allié avec le plomb ainsi qu’avec l’étain, devient spécifiquement plus pesant ; mais l’étain enlève à l’argent comme à l’or sa ductilité : le plomb entraîne l’argent dans la fusion et le sépare du cuivre ; il a donc plus d’affinité avec l’argent qu’avec le cuivre. M. Geller, et la plupart des chimistes après lui, ont dit que le fer s’alliait aussi très bien à l’argent : ce fait m’ayant paru douteux, j’ai prié M. de Morveau de le vérifier ; il s’est assuré par l’expérience qu’il ne se fait aucune union intime, aucun alliage entre le fer et l’argent, et j’ai vu moi-même, en voulant faire de l’acier damassé, que ces deux métaux ne peuvent contracter aucune union.

On sait que tous les métaux imparfaits peuvent se calciner et se convertir en une sorte de chaux, en les tenant longtemps en fusion et les agitant de manière que toutes leurs parties fondues se présentent successivement à l’air ; on sait, de plus, que tous augmentent de volume et de poids en prenant cet état de chaux. Nous avons dit et répété[1] que cette augmentation de quantité provenait uniquement des particules d’air fixées par le feu et réunies à la substance du métal qu’elles ne font que masquer, puisqu’on peut toujours lui rendre son premier état en présentant à cet air fixé quelques matières inflammables avec lesquelles il ait plus d’affinité qu’avec le métal ; dans la combustion, cette matière inflammable dégage l’air fixé, l’enlève, et laisse par conséquent le métal sous sa première forme. Tous les métaux imparfaits et les demi-métaux peuvent ainsi se convertir en chaux ; mais l’or et l’argent se sont toujours refusés à cette espèce de conversion, parce qu’apparemment ils ont moins d’affinité que les autres avec l’air, et que, malgré la fusion qui tient leurs parties divisées, ces mêmes parties ont néanmoins entre elles encore trop d’adhérence pour que l’air puisse les séparer et s’y incorporer ; et cette résistance de l’or et de l’argent à toute action de l’air donne le moyen de purifier ces deux métaux par la seule force du feu, car il ne faut, pour les dépouiller de toute autre matière, qu’en agiter la fonte, afin de présenter à sa surface toutes les parties des autres matières qui y sont contenues, et qui bientôt, par leur calcination ou leur combustion, laisseront l’or ou l’argent seuls en fusion et sous leur forme métallique. Cette manière de purifier l’or et l’argent était anciennement en usage, mais on a trouvé une façon plus expéditive en employant le plomb, qui, dans la fonte de ces métaux, détruit ou plutôt sépare et réduit en scories toutes les autres matières métalliques[2] dont ils peuvent être mêlés ; et le plomb lui-même, se scorifiant avec les autres métaux dont il s’est saisi, il les sépare de l’or et de l’argent, les entraîne, ou plutôt les emporte et s’élève avec eux à la surface de la fonte où ils se calcinent et se scorifient tous ensemble par le contact de l’air, à mesure qu’on remue la matière en fusion et qu’on en découvre successivement la surface, qui ne se scorifierait ni ne se calcinerait si elle n’était incessamment exposée à l’action de l’air libre ; il faut donc enlever ou faire écouler ces scories à mesure qu’elles se forment, ce qui se fait aisément, parce qu’elles surnagent et surmontent toujours l’or et l’argent en fusion. Cependant on a encore trouvé une manière plus facile de se débarrasser de ces scories, en se servant de vaisseaux plats et évasés qu’on appelle coupelles, et qui étant faits d’une matière sèche, poreuse et résistante au feu, absorbe dans ses pores les scories, tant du plomb que des autres minéraux métalliques, à mesure qu’elles se forment, en sorte que les coupelles ne retiennent et ne conservent dans leur capacité extérieure que le métal d’or ou d’argent, qui, par la forte attraction de leurs parties constituantes, se forme et se présente toujours en une masse globuleuse appelée bouton de fin : il faut une plus forte chaleur pour tenir ce métal fin en fusion que lorsqu’il était encore mêlé de plomb, car le

  1. Voyez le Discours qui sert d’introduction à l’Histoire des Minéraux.
  2. Il n’y a que le fer qui, comme nous l’avons dit à l’article de l’or, ne se sépare pas en entier par le moyen du plomb ; il faut, suivant M. Pœner, y ajouter du bismuth pour achever de scorifier le fer.