Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/253

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mère y ait eu part, qu’il soit né un enfant dont les membres étaient rompus ; il se peut même que cela soit arrivé plus d’une fois, et il se peut enfin encore plus naturellement qu’une femme qui devait accoucher de cet enfant ait été au spectacle de la roue, et qu’on ait attribué à ce qu’elle y avait vu et à son imagination frappée, le défaut de conformation de son enfant. Mais indépendamment de cette réponse générale qui ne satisfera guère que certaines gens, ne peut-on pas en donner une particulière, et qui aille plus directement à l’explication de ce fait ? Le fœtus n’a, comme nous l’avons dit, rien de commun avec la mère ; ses fonctions en sont indépendantes, il a ses organes, son sang, ses mouvements, et tout cela lui est propre et particulier : la seule chose qu’il tire de sa mère est cette liqueur ou lymphe nourricière que filtre la matrice ; si cette lymphe est altérée, si elle est envenimée du virus vénérien, l’enfant devient malade de la même maladie, et on peut penser que toutes les maladies qui viennent du vice ou de l’altération des humeurs peuvent se communiquer de la mère au fœtus ; on sait en particulier que la vérole se communique, et l’on n’a que trop d’exemples d’enfants qui sont, même en naissant, les victimes de la débauche de leurs parents. Le virus vénérien attaque les parties les plus solides des os, et il paraît même agir avec plus de force et se déterminer plus abondamment vers ces parties les plus solides qui sont toujours celles du milieu de la longueur des os, car on sait que l’ossification commence par cette partie du milieu, qui se durcit la première et s’ossifie longtemps avant les extrémités de l’os. Je conçois donc que si l’enfant dont il est question a été, comme il est très possible, attaqué de cette maladie dans le sein de sa mère, il a pu se faire très naturellement qu’il soit venu au monde avec les os rompus dans leur milieu, parce qu’ils l’auront en effet été dans cette partie par le virus vénérien.

Le rachitisme peut aussi produire le même effet ; il y a au Cabinet du Roi un squelette d’enfant rachitique, dont les os des bras et des jambes ont tous des calus dans le milieu de leur longueur ; à l’inspection de ce squelette on ne peut guère douter que cet enfant n’ait eu les os des quatre membres rompus dans le temps que la mère le portait, ensuite les os se sont réunis et ont formé ces calus.

Mais c’est assez nous arrêter sur un fait que la seule crédulité a rendu merveilleux ; malgré toutes nos raisons et malgré la philosophie, ce fait, comme beaucoup d’autres, restera vrai pour bien des gens ; le préjugé, surtout celui qui est fondé sur le merveilleux, triomphera toujours de la raison, et l’on serait bien peu philosophe si l’on s’en étonnait. Comme il est souvent question dans le monde de ces marques des enfants, et que dans le monde les raisons générales et philosophiques font moins d’effet qu’une historiette, il ne faut pas compter qu’on puisse jamais persuader aux femmes que les marques de leurs enfants n’ont aucun rapport avec