Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/275

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celle du moule intérieur des animaux ou des végétaux ; et comme cette disposition de forme doit varier à l’infini, tant pour le nombre que par la différente action des molécules vivantes contre la matière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres de tous degrés d’animalité[NdÉ 1]. Et cette génération spontanée, à laquelle tous ces êtres doivent également leur existence, s’exerce et se manifeste toutes les fois que les êtres organisés se décomposent ; elle s’exerce constamment et universellement après la mort, et quelquefois aussi pendant leur vie, lorsqu’il y a quelque défaut dans l’organisation du corps qui empêche le moule intérieur d’absorber et de s’assimiler toutes les molécules organiques contenues dans les aliments ; ces molécules surabondantes, qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de l’animal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques particules de la matière brute des aliments, et forment, comme dans la putréfaction, des corps organisés ; c’est là l’origine des ténias, des ascarides, des douves, et de tous les autres vers qui naissent dans le foie, dans l’estomac, les intestins, et jusque dans les sinus des veines de plusieurs animaux ; c’est aussi l’origine de tous les vers qui leur percent la peau ; c’est la même cause qui produit les maladies pédiculaires ; et je ne finirais pas si je voulais rappeler ici tous les genres d’êtres qui ne doivent leur existence qu’à la génération spontanée ; je me contenterai d’observer que le plus grand nombre de ces êtres n’ont pas la puissance de produire leur semblable : quoiqu’ils aient un moule intérieur, puisqu’ils ont à l’extérieur et à l’intérieur une forme déterminée qui prend de l’extension dans toutes ses dimensions, et que ce moule exerce sa puissance pour leur nutrition, il manque néanmoins à leur organisation la puissance de renvoyer les molécules organiques dans un réservoir commun, pour y former de nouveaux êtres semblables à eux. Le moule intérieur suffit donc ici à la nutrition de ces corps organisés ; son action est limitée à cette opération, mais sa puissance ne s’étend pas jusqu’à la reproduction. Presque tous ces êtres engendrés dans la corruption y périssent en entier : comme ils sont nés sans parents ils meurent sans postérité. Cependant quelques-uns, tels que les anguilles du mucilage de la farine, semblent contenir des germes de postérité ; nous avons vu sortir, même en assez grand nombre, de petites anguilles de cette espèce d’une anguille plus grosse ; néanmoins cette mère anguille n’avait point eu de mère et ne devait son existence qu’à une génération spontanée. Il paraît donc, par cet exemple

  1. Avec la théorie de Buffon, la génération spontanée pourrait, en effet, s’appliquer à des organismes très variés et même très complexes. Il suffit, d’après lui, pour qu’un être vivant soit produit, qu’un nombre plus ou moins considérable de « ces molécules organiques vivantes », dont il admet l’indestructibilité, se trouvent mises en contact les unes avec les autres. Elles s’agglomèrent alors, « s’approprient des particules brutes, » et forment ainsi un corps vivant. C’est de cette façon qu’il va expliquer plus loin la génération, qu’il croit spontanée, d’insectes dans les tissus d’un cadavre, et celle « d’insectes ailés » dans le corps des Éthiopiens qui mangent des sauterelles.