Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/282

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prenons, et doit tenir et emprunter d’eux les qualités foncières et plastiques qu’elle possède.

» La qualité, la quantité de la chair, dit M. de Buffon (Hist. nat. du Cerf), varient suivant les différentes nourritures. Cette matière organique que l’animal assimile à son corps par la nutrition n’est pas absolument indifférente à recevoir telle ou telle modification ; elle retient quelques caractères de son premier état et agit par sa propre forme sur celle du corps organisé qu’elle nourrit… L’on peut donc présumer que des animaux, auxquels on ne donnerait jamais que la même espèce de nourriture, prendraient en assez peu de temps une teinture des qualités de cette nourriture. Ce ne serait plus la nourriture qui s’assimilerait en entier à la forme de l’animal, mais l’animal qui s’assimilerait en partie à la forme de la nourriture.

» En effet, puisque les molécules nutritives et organiques ourdissent la trame des fibres de notre corps, puisqu’elles fournissent la source des esprits, du sang et des humeurs, et qu’elles se régénèrent chaque jour, il est plausible de penser qu’il doit acquérir le même tempérament qui résulte d’elles mêmes. Ainsi à la rigueur, et dans un certain sens, le tempérament d’un individu doit souvent changer, être tantôt énervé, tantôt fortifié par la qualité et le mélange varié des aliments dont il se nourrit. Ces inductions conséquentes sont relatives à la doctrine d’Hippocrate, qui, pour corriger l’excès du tempérament, ordonne l’usage continu d’une nourriture contraire à sa constitution.

» Le corps d’un homme qui mange habituellement d’un mixte quelconque contracte donc insensiblement les propriétés de ce mixte, et, pénétré des mêmes principes, devient susceptible des mêmes dépravations et de tous les changements auxquels il est sujet. Rédi, ayant ouvert un meunier peu de temps après sa mort, trouva l’estomac, le colon, le cæcum et toutes les entrailles remplis d’une quantité prodigieuse de vers extrêmement petits, qui avaient la tête ronde et la queue aiguë, parfaitement ressemblants à ceux qu’on observe dans les infusions de farine et d’épis de blé ; ainsi nous pouvons dire d’une personne qui fait un usage immodéré de vin, que les particules nutritives qui deviennent la masse organique de son corps sont d’une nature vineuse, qui s’assimile peu à peu et se transforme en elles, et que rien n’empêche, en se décomposant, qu’elles ne produisent les mêmes phénomènes qui arrivent au marc du vin.

» On a lieu de conjecturer qu’après que le cadavre a été inhumé dans le caveau, la quantité des insectes qu’il a produits a diminué, parce que ceux qui étaient placés au dehors sur les fentes de la pierre savouraient les particules organiques qui s’exhalaient en vapeurs et dont ils se repaissaient, puisqu’ils ont péri dès qu’ils en ont été sevrés. Si le cadavre eût resté enseveli dans la fosse, où il n’eût souffert aucune émanation ni aucune