Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/284

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propension égale, une aptitude naturelle, une affinité puissante qui leur est générale et qui les rejoint, les conjugue et les identifie ensemble de la même manière, et suscite et forme une combinaison déterminée ou un être organisé dont la structure, les qualités, la durée et la vie sont relatives à l’harmonie primitive qui les distingue et au mouvement génératif qui les anime et les revivifie. Tous les individus de la même espèce qui reconnaissent la même origine, qui sont gouvernés par les mêmes principes, formés selon les mêmes lois, éprouvent les mêmes changements et s’assimilent avec la même régularité.

» Ces productions effectives, surprenantes et invariables, sont l’essence même des êtres. On pourrait, après une analyse exacte, et par une méthode sûre, ranger des classes, prévoir et fixer les générations microscopiques futures, tous les êtres animés invisibles, dont la naissance et la vie sont spontanées, en démêlant le caractère générique et particulier des particules intégrantes qui composent les substances organiques dont elles émanent, si le mélange et l’abus que nous faisons des choses créées n’avait bouleversé l’ordre primitif du globe que nous habitons, si nous n’avions perverti, aliéné, fait avorter les productions naturelles. Mais l’art et l’industrie des hommes, presque toujours funestes aux arrangements médités par la nature, à force d’allier des substances hétérogènes, disparates et incompatibles, ont épuisé les premières espèces qui en sont issues et ont varié à l’infini, par la succession des temps, les combinaisons irrégulières des masses organiques, et la suite des générations qui en dépendent.

» C’est ainsi que telle est la chaîne qui lie tous les êtres et les événements naturels, qu’en portant le désordre dans les substances existantes, nous détériorons, nous défigurons, nous changeons encore celles qui en naîtront à l’avenir, car la façon d’être actuelle ne comprend pas tous les états possibles. Toutes les fois que la santé du corps et que l’intégrité de ses fonctions s’altèrent vivement, parce que la masse du sang est atteinte de quelque qualité vicieuse, ou que les humeurs sont perverties par un mélange ou un levain corrupteur, on ne doit imputer ces accidents funestes qu’à la dégénérescence des molécules organiques ; leur relation, leur équilibre, leur juxtaposition, leur assemblage et leur action, ne se dérangent qu’autant qu’elles sont affectées d’une détérioration particulière, qu’elles prennent une modification différente, qu’elles sont agitées par des mouvements désordonnés, irréguliers et extraordinaires ; car la maladie ébranle leur arrangement, infirme leur tissu, émousse leur activité, amortit leurs dispositions salubres et exalte les principes hétérogènes et destructeurs qui les inficient.

» On comprend par là combien il est dangereux de manger de la chair des animaux morts de maladie ; une petite quantité d’une substance viciée et contagieuse parvient à pénétrer, à corrompre et à dénaturer toute la masse