Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/290

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tous fussent frappés de mort au même instant, les molécules organiques ne laisseraient pas de survivre à cette mort universelle ; le nombre de ces molécules étant toujours le même, et leur essence indestructible aussi permanente que celle de la matière brute que rien n’aurait anéanti, la nature posséderait toujours la même quantité de vie[NdÉ 1], et l’on verrait bientôt paraître des espèces nouvelles qui remplaceraient les anciennes ; car les molécules organiques vivantes se trouvant toutes en liberté, et n’étant ni pompées ni absorbées par aucun moule subsistant, elles pourraient travailler la matière brute en grand ; produire d’abord une infinité d’êtres organisés, dont les uns n’auraient que la faculté de croître et de se nourrir, et d’autres plus parfaits qui seraient doués de celle de se reproduire, ceci nous paraît clairement indiqué par le travail que ces molécules font en petit dans la putréfaction et dans les maladies pédiculaires où s’engendrent des êtres qui ont la puissance de se reproduire ; la nature ne pourrait manquer de faire alors en grand ce qu’elle ne fait aujourd’hui qu’en petit, parce que la puissance de ces molécules organiques étant proportionnelle à leur nombre et à leur liberté, elles formeraient de nouveaux moules intérieurs, auxquels elle donnerait d’autant plus d’extension qu’elles se trouveraient concourir en plus grande quantité à la formation de ces moules, lesquels présenteraient dès lors une

    » Notre chenille a donc quelque chose de singulier et qui méritait d’être observé, ne serait-ce que son goût pour la viande, encore fallait-il qu’elle fût récemment mâchée ; autre singularité…, vivant dans l’estomac elle était accoutumée à un grand degré de chaleur, et je ne doute pas que le degré de chaleur moindre de l’air où elle se trouva lorsqu’elle fut rejetée, ne soit la cause de cet engourdissement où je la trouvai le matin et qui me la fit croire morte ; je ne la tirai de cet état qu’en l’échauffant avec mon haleine, moyen dont je me suis toujours servi quand elle m’a paru avoir moins de vigueur : peut-être aussi le manque de chaleur a-t-il été cause qu’elle n’a point changé de peau, et qu’elle a sensiblement dépéri pendant le temps que je l’ai conservée…

    » Cette chenille était brunâtre avec des bandes longitudinales plus noires, elle avait seize jambes et marchait comme les autres chenilles ; elle avait de petites aigrettes de poil, principalement sur les anneaux de son corps… La tête noire, brillante, écailleuse, divisée par un sillon en deux parties égales, ce qui pourrait faire prendre ces deux parties pour les deux yeux. Cette tête est attachée au premier anneau ; quand la chenille s’allonge, on aperçoit, entre la tête et le premier anneau, un intervalle membraneux d’un blanc sale, que je croirais être le cou, si entre les autres anneaux je n’eusse pas également distingué cet intervalle qui est surtout sensible entre le premier et le second, et le devient moins à proportion de l’éloignement de la tête.

    » Dans le devant de la tête on aperçoit un espace triangulaire blanchâtre, au bas duquel est une partie noire et écailleuse, comme celle qui forme les deux angles supérieurs ; on pourrait regarder celle-ci comme une espèce de museau… Fait au Mans, le 6 juillet 1761. »

    Cette relation est appuyée d’un certificat signé de la malade, de son médecin et de quatre autres témoins.

  1. Le lecteur remarquera avec quelle fermeté Buffon affirme l’indestructibilité de ses molécules organiques. Pour lui, il existe dans l’univers deux sortes de matières : l’une brute, l’autre vivante ; leurs molécules sont mélangées les unes aux autres, mais elles sont susceptibles de se séparer, et les molécules organiques, en s’agrégeant, forment les êtres vivants.