Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/292

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Amérique ; ses productions, n’étant aidées dans leur développement que de la faible chaleur de la température actuelle du globe, seraient encore plus petites que celles du nouveau continent.

Tout philosophe sans préjugés, tout homme de bon esprit qui voudra lire avec attention ce que j’ai écrit au sujet de la nutrition, de la génération, de la reproduction, et qui aura médité sur la puissance des moules intérieurs, adoptera sans peine cette possibilité d’une nouvelle nature, dont je n’ai fait l’exposition que dans l’hypothèse de la destruction générale et subite de tous les êtres subsistants ; leur organisation détruite, leur vie éteinte, leurs corps décomposés, ne seraient pour la nature que des formes anéanties[NdÉ 1], qui seraient bientôt remplacées par d’autres formes, puisque les masses générales de la matière vivante et de la matière brute sont et seront toujours les mêmes ; puisque cette matière organique vivante survit à toute mort et ne perd jamais son mouvement, son activité ni sa puissance de modeler la matière brute et d’en former des moules intérieurs, c’est-à-dire des formes d’organisation capables de croître, de se développer et de se reproduire. Seulement on pourrait croire, avec assez de fondement, que la quantité de la matière brute, qui a toujours été immensément plus grande que celle de la matière vivante, augmente avec le temps, tandis qu’au contraire la quantité de la matière vivante diminue et diminuera toujours de plus en plus, à mesure que la terre perdra, par le refroidissement, les trésors de sa chaleur, qui sont en même temps ceux de sa fécondité et de toute vitalité[NdÉ 2].

Car d’où peuvent venir primitivement ces molécules organiques vivantes ? nous ne connaissons dans la nature qu’un seul élément actif ; les trois autres sont purement passifs, et ne prennent de mouvement qu’autant que le premier leur en donne. Chaque atome de lumière ou de feu suffit pour agiter et pénétrer un ou plusieurs autres atomes d’air, de terre ou d’eau ; et comme il se joint à la force impulsive de ces atomes de chaleur une force attractive, réciproque et commune à toutes les parties de la matière, il est aisé de concevoir que chaque atome brut et passif devient actif et vivant au moment qu’il est pénétré dans toutes ses dimensions par l’élément vivifiant ; le nombre des molécules vivantes est donc en même raison que celui des émanations de cette chaleur douce, qu’on doit regarder comme l’élément primitif de la vie.

  1. Pensée très juste, étant données la permanence des propriétés essentielles de la matière et son indestructibilité. Mais il n’est pas nécessaire pour l’admettre de supposer qu’il existe dans l’univers une matière vivante distincte de la matière non vivante ; elle est encore simplifiée par l’opinion qui consiste à considérer la matière vivante comme une simple forme, un état particulier de la matière non vivante et à n’admettre qu’une seule sorte de matière. (Voyez mon Introduction et mon livre le Transformisme.)
  2. Dans ce passage, Buffon se rapproche de la vérité en laissant entendre qu’à son avis la matière vivante retourne, à un moment donné, à l’état de matière non vivante.

    Dans le paragraphe suivant, il formule l’une des vues les plus vraies et les plus remarquables de toutes celles qu’il a eues en considérant la matière vivante comme produite par la matière non vivante à l’aide de la chaleur.