Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/309

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l’on met le feu à une fusée volante, ce charbon allumé forme à nos yeux un cercle de feu, et la fusée volante une longue trace de flamme. On sait que ces apparences viennent de la durée de l’ébranlement que la lumière produit sur l’organe, et de ce que l’on voit en même temps la première et la dernière image du charbon ou de la fusée volante : or, le temps entre la première et la dernière impression ne laisse pas d’être sensible. Mesurons cet intervalle, et disons qu’il faut une demi-seconde, ou, si l’on veut, un quart de seconde pour que le charbon allumé décrive son cercle et se retrouve au même point de la circonférence ; cela étant, l’ébranlement causé par la lumière dure une demi-seconde ou un quart de seconde au moins. Mais l’ébranlement que produit le son n’est pas, à beaucoup près, d’une aussi longue durée, car l’oreille saisit de bien plus petits intervalles de temps ; on peut entendre distinctement trois ou quatre fois le même son, ou trois ou quatre sons successifs dans l’espace d’un quart de seconde, et sept ou huit dans une demi-seconde, et la dernière impression ne se confond point avec la première ; elle en est distincte et séparée ; au lieu que dans l’œil la première et la dernière impression semblent être continues, et c’est par cette raison qu’une suite de couleurs, qui se succéderaient aussi vite que des sons, doit se brouiller nécessairement, et ne peut pas nous affecter d’une manière distincte comme le fait une suite de sons.

Nous pouvons donc présumer, avec assez de fondement, que les ébranlements peuvent durer beaucoup plus longtemps dans le sens intérieur qu’ils ne durent dans les sens extérieurs, puisque dans quelques-uns de ces sens même l’ébranlement dure plus longtemps que dans d’autres, comme nous venons de le faire voir de l’œil, dont les ébranlements sont plus durables que ceux de l’oreille : c’est par cette raison que les impressions que ce sens transmet au sens intérieur sont plus fortes que les impressions transmises par l’oreille, et que nous nous représentons les choses que nous avons vues beaucoup plus vivement que celles que nous avons entendues. Il paraît même que de tous les sens l’œil est celui dont les ébranlements ont le plus de durée, et qui doit par conséquent former les impressions les plus fortes, quoiqu’on apparence elles soient les plus légères : car cet organe paraît par sa nature participer plus qu’aucun autre à la nature de l’organe intérieur. On pourrait le prouver par la quantité de nerfs qui arrivent à l’œil ; il en reçoit presque autant lui seul que l’ouïe, l’odorat, et le goût pris ensemble.

L’œil peut donc être regardé comme une continuation du sens intérieur[NdÉ 1], ce n’est, comme nous l’avons dit à l’article des sens, qu’un gros nerf épanoui, un prolongement de l’organe dans lequel réside le sens intérieur de l’animal ; il n’est donc pas étonnant qu’il approche plus qu’aucun autre sens de la nature de ce sens intérieur : en effet, non seulement ses ébranlements

  1. Tous les sens sont dans le même cas.