Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/308

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les seules forces de notre être matériel : nous ne pouvons en juger que par analogie et en comparant à nos actions les opérations naturelles des animaux ; mais comme cette substance spirituelle n’a été accordée qu’à l’homme, et que ce n’est que par elle qu’il pense et qu’il réfléchit ; que l’animal est, au contraire, un être purement matériel, qui ne pense ni ne réfléchit, et qui cependant agit et semble se déterminer, nous ne pouvons pas douter que le principe de la détermination du mouvement ne soit dans l’animal un effet purement mécanique et absolument dépendant de son organisation[NdÉ 1].

Je conçois donc que dans l’animal l’action des objets sur les sens en produit une autre sur le cerveau, que je regarde comme un sens intérieur et général qui reçoit toutes les impressions que les sens extérieurs lui transmettent. Ce sens interne est non seulement susceptible d’être ébranlé par l’action des sens et des organes extérieurs, mais il est encore, par sa nature, capable de conserver longtemps l’ébranlement que produit cette action ; et c’est dans la continuité de cet ébranlement que consiste l’impression, qui est plus ou moins profonde à proportion que cet ébranlement dure plus ou moins de temps.

Le sens intérieur diffère donc des sens extérieurs, d’abord par la propriété qu’il a de recevoir généralement toutes les impressions, de quelque nature qu’elles soient ; au lieu que les sens extérieurs ne les reçoivent que d’une manière particulière et relative à leur conformation, puisque l’œil n’est jamais plus ébranlé par le son que l’oreille par la lumière. Secondement, ce sens intérieur diffère des sens extérieurs par la durée de l’ébranlement que produit l’action des causes extérieures ; mais, pour tout le reste, il est de la même nature que les sens extérieurs. Le sens intérieur de l’animal est, aussi bien que ses sens extérieurs, un organe, un résultat de mécanique, un sens purement matériel. Nous avons, comme l’animal, ce sens intérieur matériel, et nous possédons de plus un sens d’une nature supérieure et bien différente qui réside dans la substance spirituelle qui nous anime et nous conduit.

Le cerveau de l’animal est donc un sens interne, général et commun, qui reçoit également toutes les impressions que lui transmettent les sens externes, c’est-à-dire tous les ébranlements que produit l’action des objets, et ces ébranlements durent et subsistent bien plus longtemps dans ce sens interne que dans les sens externes : on le concevra facilement, si l’on fait attention que même dans les sens externes il y a une différence très sensible dans la durée de leurs ébranlements. L’ébranlement que la lumière produit dans l’œil subsiste plus longtemps que l’ébranlement de l’oreille par le son ; il ne faut, pour s’en assurer que réfléchir sur des phénomènes fort connus. Lorsqu’on tourne avec quelque vitesse un charbon allumé, ou que

  1. Cela est vrai, mais c’est vrai pour l’homme comme pour l’animal. C’est, du reste, ce que Buffon lui-même va avoir soin de démontrer en parlant du « sens interne ».