Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/330

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nous bien plus parfaite que la seconde ; cette dernière, au contraire, n’est produite que par le renouvellement des ébranlements du sens intérieur matériel, et elle est la seule qu’on puisse accorder à l’animal ou à l’homme imbécile : leur sensations antérieures sont renouvelées par les sensations actuelles ; elles se réveillent avec toutes les circonstances qui les accompagnaient, l’image principale et présente appelle les images anciennes et accessoires ; ils sentent comme ils ont senti ; ils agissent donc comme ils ont agi, ils voient ensemble le présent et le passé, mais sans les distinguer, sans les comparer, et par conséquent sans les connaître[NdÉ 1].

Une seconde objection qu’on me fera sans doute, et qui n’est cependant qu’une conséquence de la première, mais qu’on ne manquera pas de donner comme une autre preuve de l’existence de la mémoire dans les animaux, ce sont les rêves. Il est certain que les animaux se représentent dans le sommeil les choses dont ils ont été occupés pendant la veille ; les chiens jappent souvent en dormant, et quoique cet aboiement soit sourd et faible, on y reconnaît cependant la voix de la chasse, les accents de la colère, les sons du désir ou du murmure, etc. ; on ne peut donc pas douter qu’ils n’aient des choses passées un souvenir très vif, très actif, et différent de celui dont nous venons de parler, puisqu’il se renouvelle indépendamment d’aucune cause extérieure qui pourrait y être relative.

Pour éclaircir cette difficulté, et y répondre d’une manière satisfaisante, il faut examiner la nature de nos rêves, et chercher s’ils viennent de notre âme ou s’ils dépendent seulement de notre sens intérieur matériel : si nous pouvions prouver qu’ils y résident en entier, ce serait non seulement une réponse à l’objection, mais une nouvelle démonstration contre l’entendement et la mémoire des animaux.

Les imbéciles, dont l’âme est sans action, rêvent comme les autres hommes : il se produit donc des rêves indépendamment de l’âme, puisque dans les imbéciles l’âme ne produit rien. Les animaux, qui n’ont point d’âme, peuvent donc rêver aussi ; et non seulement il se produit des rêves indépendamment de l’âme, mais je serais fort porté à croire que tous les rêves en sont indépendants. Je demande seulement que chacun réfléchisse sur ses rêves, et tâche à reconnaître pourquoi les parties en sont si mal liées et les événements si bizarres : il m’a paru que c’était principalement

  1. Les deux sortes de mémoires que distingue Buffon sous les noms de « mémoire » et de « réminiscence » ne sont, en réalité, que deux degrés différents d’une seule et même faculté, de même que l’instinct et l’intelligence ne sont que deux degrés d’une seule faculté. Plus l’organisme des animaux est perfectionné, plus la puissance de ces facultés est grande. Quand on les étudie chez des êtres suffisamment éloignés les uns des autres, elles affectent des différences d’intensité assez prononcées pour qu’il soit difficile de constater leur nature véritable, leur identité ; mais il est facile, en examinant les êtres intermédiaires, de s’assurer que leurs différences ne résultent que des degrés divers de développement des organismes envisagés.