Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/333

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d’images agréables, d’illusions charmantes ; mais, pour peu que le corps soit souffrant ou affaissé, les tableaux sont bien différents : on voit des figures grimaçantes, des visages de vieilles, des fantômes hideux qui semblent s’adresser à nous, et qui se succèdent avec autant de bizarrerie que de rapidité ; c’est la lanterne magique, c’est une scène de chimères qui remplissent le cerveau vide alors de toute autre sensation, et les objets de cette scène sont d’autant plus vifs, d’autant plus nombreux, d’autant plus désagréables, que les autres facultés animales sont plus lésées, que les nerfs sont plus délicats, et que l’on est plus faible, parce que les ébranlements causés par les sensations réelles étant dans cet état de faiblesse ou de maladie beaucoup plus forts et plus désagréables que dans l’état de santé, les représentations de ces sensations, que produit le renouvellement de ces ébranlements, doivent aussi être plus vives et plus désagréables.

Au reste, nous nous souvenons de nos rêves, par la même raison que nous nous souvenons des sensations que nous venons d’éprouver ; et la seule différence qu’il y ait ici entre les animaux et nous, c’est que nous distinguons parfaitement ce qui appartient à nos rêves de ce qui appartient à nos idées ou à nos sensations réelles, et ceci est une comparaison, une opération de la mémoire, dans laquelle entre l’idée du temps ; les animaux au contraire, qui sont privés de la mémoire et de cette puissance de comparer les temps, ne peuvent distinguer leurs rêves de leurs sensations réelles, et l’on peut dire que ce qu’ils ont rêvé leur est effectivement arrivé.

Je crois avoir déjà prouvé d’une manière démonstrative, dans ce que j’ai écrit sur la nature de l’homme, que les animaux n’ont pas la puissance de réfléchir : or l’entendement est non seulement une faculté de cette puissance de réfléchir, mais c’est l’exercice même de cette puissance, c’en est le résultat, c’est ce qui la manifeste ; seulement nous devons distinguer dans l’entendement deux opérations différentes, dont la première sert de base à la seconde et la précède nécessairement. Cette première action de la puissance de réfléchir est de comparer les sensations et d’en former des idées, et la seconde est de comparer les idées mêmes et d’en former des raisonnements : par la première de ces opérations, nous acquérons des idées particulières et qui suffisent à la connaissance de toutes les choses sensibles ; par la seconde, nous nous élevons à des idées générales, nécessaires pour arriver à l’intelligence des choses abstraites. Les animaux n’ont ni l’une ni l’autre de ces facultés, parce qu’ils n’ont point d’entendement, et l’entendement de la plupart des hommes paraît être borné à la première de ces opérations.

Car si tous les hommes étaient également capables de comparer des idées, de les généraliser et d’en former de nouvelles combinaisons, tous manifesteraient leur génie par des productions nouvelles, toujours différentes de celles des autres, et souvent plus parfaites ; tous auraient le don d’inventer, ou du