Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/334

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moins les talents de perfectionner. Mais non : réduits à une imitation servile, la plupart des hommes ne font que ce qu’ils voient faire, ne pensent que de mémoire et dans le même ordre que les autres ont pensé ; les formules, les méthodes, les métiers, remplissent toute la capacité de leur entendement, et les dispensent de réfléchir assez pour créer.

L’imagination est aussi une faculté de l’âme : si nous entendons par ce mot imagination la puissance que nous avons de comparer des images avec des idées, de donner des couleurs à nos pensées, de représenter et d’agrandir nos sensations, de peindre le sentiment, en un mot de saisir vivement les circonstances et de voir nettement les rapports éloignés des objets que nous considérons, cette puissance de notre âme en est même la qualité la plus brillante et la plus active : c’est l’esprit supérieur, c’est le génie, les animaux en sont encore plus dépourvus que d’entendement et de mémoire ; mais il y a une autre imagination, un autre principe qui dépend uniquement des organes corporels, et qui nous est commun avec les animaux : c’est cette action tumultueuse et forcée qui s’excite au dedans de nous-mêmes par les objets analogues ou contraires à nos appétits ; c’est cette impression vive et profonde des images de ces objets, qui malgré nous se renouvelle à tout instant et nous contraint d’agir comme les animaux, sans réflexion, sans délibération ; cette représentation des objets, plus active encore que leur présence, exagère tout, falsifie tout. Cette imagination est l’ennemie de notre âme, c’est la source de l’illusion, la mère des passions qui nous maîtrisent, nous emportent malgré les efforts de la raison, et nous rendent le malheureux théâtre d’un combat continuel, où nous sommes presque toujours vaincus.

Homo duplex.

L’homme intérieur est double ; il est composé de deux principes différents par leur nature et contraires par leur action. L’âme, ce principe spirituel, ce principe de toute connaissance, est toujours en opposition avec cet autre principe animal et purement matériel : le premier est une lumière pure qu’accompagnent le calme et la sérénité, une source salutaire dont émanent la science, la raison, la sagesse ; l’autre est une fausse lueur qui ne brille que par la tempête et dans l’obscurité, un torrent impétueux qui roule et entraîne à sa suite les passions et les erreurs.

Le principe animal se développe le premier : comme il est purement matériel et qu’il consiste dans la durée des ébranlements et le renouvellement des impressions formées dans notre sens intérieur matériel par les objets analogues ou contraires à nos appétits, il commence à agir dès que le corps peut sentir de la douleur ou du plaisir, il nous détermine le premier et aussitôt que nous pouvons faire usage de nos sens. Le principe spirituel se manifeste plus tard, il se développe, il se perfectionne au moyen de l’édu-